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Le mythe d’Orphée dans les arts et en musique
Ovide, les Métamorphoses et Orphée
Issu de la plus haute société romaine, Ovide (43 av. J.C. – 17 ou 18 ap. J.C.) exploita longtemps toutes les tendances de la poésie élégiaque, au caractère volontiers érotique (Les Amours, Les Héroïdes, L’Art d’aimer, etc.).
En l’an -1, il débute l’écriture de son chef-d’œuvre, les Métamorphoses, long poème mythologique épique de 15 livres et près de 12 000 vers en hexamètres. Ce poème raconte en 246 fables l’histoire du monde gréco-romain, du chaos primitif à l’apothéose de César, au cours de laquelle s’enchaînent des légendes de transformations de dieux ou d’hommes en animaux, plantes, rochers, etc.
L’histoire d’Orphée et Eurydice est racontée dans le Livre X ; la mort d’Orphée dans le livre XI.
Orphée (Orfeo en italien), poète et musicien de Thrace (actuellement en Bulgarie), épouse Eurydice mais, d’emblée, les présages sont défavorables. Peu après leur union, Eurydice, mordue par un serpent, meurt et est emportée aux enfers. Orphée décide alors d’y descendre à son tour pour la réclamer aux divinités infernales. Séduits par le chant et la lyre du poète musicien, les habitants du royaume des morts acceptent sa demande, à condition qu’il ne se retourne pas vers Eurydice avant d’avoir quitté le monde des enfers. Mais, alors qu’ils sont presque arrivés, Orphée, trop impatient et trop inquiet, ne peut s’empêcher de se retourner : Eurydice rentre alors définitivement au royaume des morts. Inconsolable, Orphée fuit désormais l’amour et erre, désespéré, quittant la plaine pour les montagnes du Rhodope et de l’Hémus. Le son de sa lyre et ses chants charment les bois, mais Orphée est agressé par les bacchantes qui se vengent d’avoir été dédaignées par l’époux éploré, resté fidèle à Eurydice par-delà la mort. Les cris des bacchantes sont tels qu’ils couvrent le son de la lyre, rendant Orphée vulnérable : il est touché mortellement et retrouve ainsi Eurydice, qu’il ne craint plus de regarder.
Arts plastiques
L’histoire de l’art, toutes époques confondues, témoigne de l’intérêt constant des artistes pour le mythe d’Orphée. On peut néanmoins constater que chaque période historique semble privilégier telle ou telle péripétie.
Ainsi, à l’Antiquité, l’épisode avec Eurydice est très rarement représenté, on y préfère :
- Orphée jouant de la lyre parmi les guerriers thraces (Cratère attique, vers 440 av. J.C.) - [1]
- ou sa mise à mort (stamnos attique, vers 460 av. J.C.) - [2]
Dans la mosaïque romaine, c’est l’épisode d’Orphée charmant les animaux qui connaît le plus de succès :
- Mosaïque d’Orphée (Arles, IIIe siècle) - [3]
Il faut attendre le Moyen Âge puis surtout l’époque des modernes pour voir couramment représenté l’épisode avec Eurydice :
- Anonyme, Eurydice rendue à Orphée aux enfers, manuscrit Métamorphoses (v. 1385) - [4]
- Erasmus Quellinus, La Mort d’Eurydice (1636-1638) - [5]
- Pedro-Pablo Rubens, Orphée et Eurydice (1636-1638) - [6]
- Nicolas Poussin, Paysage avec Orphée et Eurydice (1648-1650) - [7]
- Auguste Rodin, Orphée et Eurydice (marbre, 1887-1893) - [8]
Quant à la représentation de la mort d’Orphée, elle est bien plus rare :
- Luca Giordano (v. 1700, Madrid, Prado) assimile les femmes thraces aux bacchantes - [9]
- Gustave Moreau la représente d’une façon plus originale : une jeune fille recueillant la lyre et la tête d’Orphée qu’elle contemple (1865) - [10]
D’autres artistes, enfin, se détachent du mythe pour faire d’Orphée un héros, un modèle :
- Eugène Delacroix, Orphée apportant la civilisation, 1838-1847, Paris, Chambre des Députés - [11]
1- Orphée jouant de la lyre parmi les guerriers thraces, vers 440 av. J.C.
Cratère attique. Staatlichen Museeum de Berlin - Photographe : Johannes Laurentius
2- Mise à mort d'Orphée, 460 av. J.C.
Stamnos attique à figures rouges. Musée du Louvre - Photographe : Marie-Lan Nguyen
3- Épisode d’Orphée charmant les animaux, IIIe siècle
Mosaïque. Musée d’Arles, Photo R. Valette
4- Eurydice rendue à Orphée aux enfers, vers 1385
Manuscrit Métamorphoses (Ms 742, f. 166v). Bibliothèque municipale de Lyon
5- La Mort d’Eurydice, de Erasmus Quellinus, 1636-1638
Museo nacional del Prado
6- Orphée et Eurydice, de Pedro-Pablo Rubens, 1636-1638
Museo nacional del Prado
7- Paysage avec Orphée et Eurydice, de Nicolas Poussin, 1648-1650
Musée du Louvre
8- Orphée et Eurydice (détail), d’Auguste Rodin, 1887-1893
Metropolitan Museum
9- Orphée et les bacchantes, de Luca Giordano, v. 1700
Museo nacional del Prado
10- Orphée, de Gustave Moreau, 1865
Musée d’Orsay
11- Étude pour Orphée apportant la civilisation aux peuples barbares et leur enseignant les arts et la paix pour la Chambre des députés à Paris
d’Eugène Delacroix, 1838-1847
Musique
Poète et musicien, Orphée a naturellement inspiré les compositeurs, et particulièrement dans un genre qui allie ces deux compétences : l’opéra. Ainsi, trois des premiers opéras connus, Euridice (1600) de Peri, Euridice (1602) de Caccini et Orfeo, favola in musica (1607) de Monteverdi, reprennent le mythe. Les compositeurs d’opéras retiennent en général l’histoire d’amour tragique du couple, de la mort d’Eurydice à la mort d’Orphée – bien que l’Orfeo de Monteverdi en propose une « happy end »Enlevé par son père Apollon jusqu’au ciel, Orphée pourra y contempler Eurydice parmi les constellations.. Gluck compose ainsi son Orfeo ed Euridice (1762) puis sa version française Orphée et Eurydice (1774), et Jacques Offenbach son satirique Orphée aux enfers (1858). Au XXe siècle, citons Orpheus und Eurydike (1926) de Ernst Křenek, sur un livret du peintre Oskar Kokoschka, l’opéra concretcomposé à l’aide de sons enregistrés et retravaillés. Orphée 53 (1953) de Pierre Schaeffer et Pierre Henry, ou Orphée (1993), l’opéra de chambre de Philip Glass. Le mythe d’Orphée a également été représenté par de la musique purement instrumentale, par exemple dans le poème symphonique Orphée (1854) de Franz Liszt.
Littérature et cinéma
Le mythe a aussi inspiré de nombreux poètes (Victor Hugo, Gérard de Nerval, Rainer Maria Rilke, Guillaume Apollinaire, etc.) et cinéastes : Marcel Camus avec Orfeu Negro (1959), et Jacques Demy avec Parking (1985). Jean Cocteau y est particulièrement attaché : après sa tragédie Orphée de 1925, il reprend le mythe pour son film homonyme de 1950, avant son chef d’œuvre de 1959, Le Testament d’Orphée.
Auteurs : Antoine Mignon (pistes pédagogiques : Sylvia Avrand-Margot)