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Billie Holiday et le jazz des années 1930
Billie Holiday, une artiste à part
Considérée comme l’une des plus grandes chanteuses de l’histoire du jazz, Billie Holiday s’est démarquée de l’approche vocale de ses contemporaines en apportant à ses interprétations une expressivité délicate et une sensibilité émotionnelle qui la rendent à bien des égards bouleversante. Particulièrement attentive à restituer la charge sentimentale des paroles, elle développe un style très personnel qui tient à la fois à ses inflexions et à la manière dont elle s’approprie les textes des standards, ces chansons populaires issues de l’univers de la comédie musicale ou du cinéma qui servent de base à l’improvisation des jazzmen et dont elle transforme parfois les mélodies à leur manière. Inspirée dès son plus jeune âge, notamment, par l’exemple de Louis Armstrong, très respectée des musiciens, Billie Holiday a collaboré dès ses premiers enregistrements avec certains des plus illustres représentants du jazz. Elle fut particulièrement proche du saxophoniste Lester Young, qui lui donna son surnom de « Lady Day ».
Le jazz, un genre populaire...
Au moment où le talent de Billie Holiday émergea au début des années 1930, le jazz connaissait une véritable popularité dans les grandes villes américaines. Les immenses salles de concert qui étaient en général aussi des salles de danse accueillaient les big bands, ces grandes formations qui faisaient vibrer et s’échauffer un pays qui aspirait à sortir de la crise économique. La plupart intégraient dans leurs rangs un ou deux vocalistes qui assuraient des intermèdes pour le public entre deux séries de morceaux destinées à la danse. Leur popularité fut assurée par le développement de la radiodiffusion, qui entrait alors dans tous les foyers, mais aussi par le celui du disque commercial, au format 78 tours, dont la durée était techniquement limitée à trois minutes. Repérée par un producteur de disques, Billie Holiday a ainsi été abondamment enregistrée, à partir de 1935 et jusqu’à la fin de sa vie.
... mais victime de la société
Au cours des premières années de sa carrière, Billie Holiday fit partie de certains big bands, notamment celui de Count Basie ou encore ceux de Fletcher Henderson et Jimmie Lunceford, qui définissent le classicisme du jazz en grand orchestre. Malgré l’intérêt prêté au jazz par le public, au sein d’une société ségréguée dans laquelle les Noirs étaient privés de certains droits et considérés comme des citoyens de seconde catégorie par la majorité blanche, la chanteuse a été confrontée à de nombreuses reprises au racisme, en particulier lorsqu’elle fit partie de l’orchestre d’Artie Shaw, essuyant les insultes d’une partie du public, ne pouvant fréquenter les mêmes établissements (hôtels, restaurants) que ses collègues en raison de la couleur de sa peau. Son interprétation de « Strange Fruit » est une véritable dénonciation du régime de terreur exercé notamment dans le sud des États-Unis à l’encontre de la population noire par la pratique du lynchage. Redoutant un possible scandale, sa maison de disque refusa cependant d’enregistrer la chanson, et Billie Holiday ne put la publier sur disque que grâce au soutien d’un label indépendant, Commodore.
La manière dont Billie Holiday fut traitée par la justice en tant que femme noire tout au long de sa vie — elle fut condamnée à plusieurs reprises —, est également à mettre au compte d’un système très répressif à l’égard des siens. Cible particulièrement exposée, médiatique et vulnérable, associée au monde de la nuit et à ses plaisirs, les musiciens de jazz furent très largement les boucs émissaires d’une société étasunienne profondément régie par des principes à la fois puritains et racistes, et les ravages subis par cette communauté artistique, tant sous l’effet des violences policières que des pratiques toxicomanes largement répandues en son sein, est à juger à l’aune de la frustration et de l’oppression dont elle était victime.
Auteur : Vincent Bessières (pistes pédagogiques : Caroline Heudiard)