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Iliade l’amour Betsy Jolas
Carte d’identité de l’œuvre : Iliade l’amour de Betsy Jolas |
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Genre | opéra |
Librettiste | Bruno Bayen et Betsy Jolas, d’après la pièce Schliemann, épisodes ignorés de Bruno Bayen |
Langue du livret | français, anglais, allemand et grec |
Composition | en 2013 (nouvelle version de son opéra Schliemann crée en 1995) |
Création | le 12 mars 2016 à la salle d’art lyrique du Conservatoire de Paris, par les élèves du département des disciplines vocales du Conservatoire de Paris et l’Orchestre du Conservatoire de Paris sous la direction de David Reiland |
Forme | opéra de chambre en dix tableaux |
Instrumentation | ensemble de seize instrumentistes : 2 flûtes, 2 clarinettes, 2 trompettes, 2 trombones, percussions, 1 piano, 2 altos, 2 violoncelles, 1 contrebasse |
Source et histoire
Heinrich Schliemann, source d’inspiration de Bruno Bayen et Betsy Jolas
Dans les années 1980, la véritable histoire du milliardaire Heinrich Schliemann (1822-1890) est peu connue. C’est un commerçant, un aventurier qui fait fortune aux États-Unis avant d’étudier brièvement l’archéologie. Il se met en quête de la cité de Troie évoquée par Homère et prétend, à tort ou à raison, l’avoir découverte. En octobre 1981, l’écrivain Bruno Bayen (né en 1950) imagine une rencontre fictive entre l’archéologue et Thomas Edison (1847-1931) dans sa nouvelle Un épisode ignoré dans la vie de Schliemann. De ce premier projet naît la pièce Schliemann, épisodes ignorés créée en mai 1982 au théâtre de Chaillot. Le comédien Antoine Vitez (1930-1990) y tient le premier rôle.
Cette œuvre reprend assez fidèlement la vie de Schliemann qui rêve de rencontrer Hélène de Troie. Il va jusqu’en Grèce pour trouver celle qui lui ressemble et qui est capable de déclamer à la perfection les lamentations d’Hélène sur la mort d’Hector dans l’Iliade. Schliemann épouse ainsi la jeune Sophia qui lui donnera une fille, Andromache, et un garçon, Agamemnon, seulement évoqué dans le texte.
Comme l’indique son titre, Schliemann, épisodes ignorés possède un aspect parcellaire, bien que les fragments soient chronologiques. À la manière d’un réalisateur de film, Bruno Bayen multiplie les lieux de l’histoire et effectue de nombreuses ellipses : ainsi, quinze ans se sont écoulés entre l’épisode 10 et l’épisode 11. Néanmoins, le personnage de Schliemann reste hanté par les mêmes obsessions : le voyage, le désir de revoir son premier amour Minna, la rencontre d’Hélène, la découverte de ce que le Thomas Edison fictif appelle « l’enfance de l’humanité ».
Histoire de l’opéra : une collaboration entre Betsy Jolas et Bruno Bayen
Betsy Jolas commence à écrire pour la scène lorsque le metteur en scène Bernard Sobel (né en 1935) lui propose, en 1975, de mettre en musique une pièce d’un dramaturge chinois du XIIIe siècle, Kuan Han Chin. À la suite de cette fructueuse collaboration (Le Pavillon au bord de la rivière), la compositrice manifeste le désir d’écrire un opéra, mais elle attend de trouver l’argument qui lui convienne.
Jusqu’à ce que, en 1982 et sur le conseil du même Bernard Sobel, elle aille voir la pièce Schliemann, épisodes ignorés. Betsy Jolas décide de rencontrer son auteur, Bruno Bayen, qui accepte d’élaborer avec elle le livret de l’opéra. La composition de Schliemann semble achevée en 1989 mais le public ne pourra découvrir cette œuvre lyrique de Betsy Jolas qu’en mai 1995 à Lyon, suite à une commande de l’État et de l’Opéra de Lyon.
Avec Iliade l’amour, Betsy Jolas propose une nouvelle version de Schliemann. Fondé sur un calembour sur « il y a de l’amour », le titre est issu de la première partie de la pièce de Bruno Bayen. Entre la première version de l’opéra et son remaniement, la compositrice a opéré de nombreux changements au niveau du texte. Si Schliemann comportait trois actes comprenant respectivement cinq, trois et cinq scènes, Iliade l’amour ne contient plus que dix scènes. La chronologie du livret a également été revue, si bien que la fin de Schliemann constitue désormais le début d’Iliade l’amour.
Synopsis
L’opéra commence par l’annonce de la mort du célèbre Heinrich Schliemann. Celui-ci gît dans sa chambre mortuaire à Naples. Sa fille, Andromache, feuillette son autobiographie… Par un retour en arrière, le spectateur se retrouve à bord d’un bateau aux côtés de Schliemann. À l’aide de Spencer, il tente de choisir sa future femme parmi les clichés de jeunes filles grecques que l’archevêque d’Athènes lui a envoyées. La voix d’Andromache, qui continue de consulter le livre, parvient par bribes à l’auditeur. Arrivé à Athènes, Schliemann se rend à l’école où étudient les jeunes filles dont il détient les photographies. Elles tentent tour à tour de réciter les lamentations d’Hélène tirées de l’Iliade d’Homère. Seule Sophia y parvient, et c’est donc elle que Schliemann décide d’épouser. Plusieurs jours plus tard, il lui offre les bijoux d’Hélène découverts à Troie.
Un nouveau bond dans le temps et l’espace resitue l’action dans la campagne d’Ankershagen, en Allemagne, où Schliemann avait fait la connaissance de Minna, son amour de jeunesse. Il espère la revoir, mais l’attend en vain.
L’avant-dernière scène se passe sur le port du Pirée, la nuit ; on y entend les lamentations de Sophia déplorant la perte de son mari, tout comme Hélène pleura la mort d’Hector. Enfin, l’opéra se termine sur une rumeur : les collections de Schliemann auraient été retrouvées à Moscou, mais sans doute ne seront-elles jamais révélées au public.
Les voix et les personnages
Betsy Jolas est une compositrice fascinée par la voix. Elle considère d’ailleurs le chanteur comme un instrumentiste mais également comme un instrument en lui-même, qu’elle utilise pour explorer toutes les possibilités de la voix. Ce travail sur les différentes expressions vocales se retrouve dans son opéra Iliade l’amour. Les sons peuvent être vibrés ou droits. Un texte peut être parlé ou chanté, donnant ainsi à la voix différentes couleurs aussi appelées des timbres. À ce travail, s’ajoute celui sur la mise en valeur du texte. En effet, les accents toniques d’une langue, les inflexions, les voyelles muettes ou la ponctuation sont tout autant de caractéristiques que l’on peut traduire en musique. Cela en variant la durée des notes sous chaque syllabe ou celle des silences, en utilisant différentes courbes musicales, ascendantes ou descendantes, afin de marquer une interrogation ou au contraire une affirmation. Dans Iliade l’amour, l’orchestre, toujours présent, soutient la voix. La tessitureétendue d’une voix du son le plus grave à celui le plus aigu, le timbre et la façon dont est utilisée la voix apportent un nouvel éclairage sur le texte chanté ainsi que sur le profil des personnages.
H. Schliemann et A. Spencer
Les deux amis complices, H. Schliemann et A. Spencer, le sont aussi par leur voix, puisque tous les deux sont des barytons. Cette couleur confère beaucoup de naturel à la voix car elle ne varie quasiment pas entre les moments chantés et les moments parlés. Schliemann, qui apparaît au départ comme un personnage presque antipathique voire comme un escroc, devient petit à petit, par le biais de la musique qui empreint son chant, empli de charisme et de courage.
Sophia, épouse de Schliemann
Épouse transie d’amour, elle intervient dans le registre aigu de soprano, rappelant sa jeunesse et sa fragilité. Le contraste est d’ailleurs frappant entre mari et femme dans le duo d’amour : les mélismesgroupe de notes chantées sur la même syllabe d’un mot de Sophia, traduisant une émotion incontrôlée, s’opposent à l’obstination de Schliemann. Le fredonnement que l’on entend à la fin de ce duo nous ramène néanmoins à un moment doux et intime.
Andromache, fille de Sophia et Schliemann
Elle est interprétée par une mezzo-soprano. Située entre alto et soprano, riche en sons graves mais pouvant néanmoins monter assez haut, cette tessiture colle parfaitement à l’image équilibrée que l’on peut se faire de la fille de Heinrich et Sophia. Supposée être, par son rôle de messagère, plus tempérée que les autres personnages, Andromache semble néanmoins cacher une grande colère, ce dont témoignent les nombreux mélismes dans l’écriture de sa partie.
Mister Haak, détective
Sa voix aiguë de ténor, associée au bégaiement, lui confère un débit presque agaçant. Mélangeant sans cesse les langues sans en parler une correctement, le détective alterne des passages discontinus aux nombreux accents avec des passages plus fluides où la musique, comme le texte, s’écoulent dans un flot ininterrompu de mots et de notes.
Le langage musical
Héritage et singularité
Iliade l’amour s’inscrit dans l’héritage de l’opéra du xxe siècle. On y retrouve certains traitements de la voix initiés par Schönberg (dans Pierrot lunaire) et Berg (dans Wozzeck), une construction en tableaux et des « archétypes » du genre. En effet, les premiers essais de Betsy Jolas dans le genre de l’opéra démontrent son attachement pour des éléments traditionnels ; ici ce sont des duos, une scène d’amour entre Schliemann et Sophia (deuxième partie du tableau V), une berceuse de Sophia (tableau VI) couplée avec un air se rapprochant de l’« air des bijoux » de Marguerite dans Faustopéra de Charles Gounod créé en 1859, et un passage en énumération rapide par le professeur de gymnastique (début du tableau V) rappelant l’« air du catalogue » de Don Giovanniopéra de Mozart, créé en 1787. Betsy Jolas ne considère pas sa musique comme radicalement moderne mais elle lui donne un caractère très personnel et cherche avant tout une « musique belle qui sonne bien ». Pour la compositrice, cela signifie trouver l’équilibre entre consonances et dissonances sans pour autant revenir à la tonalité, et dessiner des lignes mélodiques élégantes à la manière des musiciens du Moyen Âge et de la Renaissance comme Guillaume Dufay, Josquin Desprez ou Roland de Lassus, qu’elle affectionne particulièrement.
L’usage de la voix et de la prosodie
Betsy Jolas entretient un rapport singulier avec la voix, car elle l’utilise aussi bien pour servir l’action que pour ses qualités d’instrument à part entière. Le chant est souvent lyrique et orné dans les moments plus expressifs de pause dans le récit, et plus proche du récitatifLe récitatif est un genre vocal proche de la parole et privilégiant la compréhension du texte. pour les dialogues. L’auditeur pourra entendre du mélodrame (texte parlé sur de la musique) mais également, choses plus rares, un mélange de voix parlée et chantée, de longs ports de voixPar exemple, pour une phrase, le chanteur n’a pour indications que la note de départ et celle d’arrivée, devant lui-même tracer son chemin entre les deux., des cris et des rires, du chant bouche fermée ou entrouverte.
L’originalité de cet opéra tient, entre autres, au fait qu’il mêle le français, l’anglais, l’allemand et le grec. Cette pluralité des langues (déjà employée par Luciano Berio dans sa symphonie vocale Sinfonia (1968) ainsi que dans Opera (1977) où il utilise le français, l’anglais, l’italien et l’allemand) influe à la fois sur le chant et la prosodie. D’ailleurs, le rythme de la musique s’en ressent car Betsy Jolas change très souvent de métrique (par des changements rapides de pulsation) et d’accentuation afin de souligner l’intonation expressive. On note toutefois son attachement pour la métrique à cinq temps, héritée du mètre de la Grèce antique, qui semble en adéquation avec le sujet même de l’œuvre.
L’effectif orchestral
Enfin, l’orchestre est plutôt léger, ne doublant que rarement les chanteurs, et son effectif assez traditionnel exception faite de l’absence de violons. Contrairement à celui de Schliemann (opéra de Betsy Jolas de 1995), l’orchestre d’Iliade l’amour ne comporte ni guitare électrique, ni bande magnétique.
Auteures : Source et histoire par Lisa Petit, Les voix et les personnages par Coline Infante, Le langage musical par Nastasia Matignon - Classe des Métiers de la culture musicale du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris