script
Page découverte
Portrait
Eve Risser
(1982-)
Avec une touche de défi, la pianiste, compositrice et improvisatrice Eve Risser fusionne onirisme et féminisme dans une musique libre venue du jazz, des musiques contemporaines et expérimentales. Après une formation académique, elle explore la scène improvisée européenne, un pied dans l’institution, un autre dans les réseaux alternatifs. Son jeu poétique se fait volontiers percussif et corporel, dans des formes allant du solo au grand orchestre.
Née en 1982, Eve Risser débute très tôt le piano et la flûte traversière. Au conservatoire de Colmar, sa ville natale, elle obtient ses diplômes d’études musicales en flûte puis piano, avant même d’être bachelière. L’improvisation et le jazz font irruption dans son cursus au conservatoire de Strasbourg puis sont au cœur de ses études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. À l’occasion de l’édition 2006 du festival Jazz à la Villette à la Cité de la Musique, elle intègre le Junior Liberation Music Orchestra de Charlie Haden.
Premières collaborations
À 25 ans, Eve Risser part marcher en solitaire dans les canyons du Grand Ouest américain. Invitée au festival High-Zero à Baltimore, elle rejoint le département jazz du Peabody Institute (Johns Hopkins University), dirigé par le flûtiste et saxophoniste Gary Thomas, et enregistre avec Ron Anderson sur le label Tzadik de John Zorn.
Elle intègre l’Orchestre National de Jazz de 2008 à 2013 en tant que pianiste, flûtiste, improvisatrice et compositrice ; la collaboration de l’ONJ avec le batteur John Hollenbeck la marque particulièrement. Au fil des années, elle répond à de multiples commandes d’écriture et devient une voix majeure des musiques improvisées européennes.
En 2009, sous l’impulsion du contrebassiste suédois Joel Grip, elle rejoint le collectif Umlaut créé en 2004 à Stockholm. Deux branches se créent, à Berlin puis à Paris. Umlaut, qui réunit une dizaine de musiciennes et musiciens, est également un label et a donné naissance à un festival à Paris.
Militantisme et compositions
En 2008, Eve Risser compose son Concerto pour guitare Barbie et orchestre symphonique. Le choix de ce jouet électronique illustre avec humour son militantisme contre la domination masculine dans le jazz et exprime le rejet d’une forme d’élitisme culturel. Influencée par la contrebassiste Joëlle Léandre, dont l’engagement féministe l’a marquée, Eve Risser prend les rênes de sa carrière et développe ses propres projets artistiques.
Pour ses compositions, cette native des Vosges en quête d’onirisme puise dans la nature et les grands espaces : la montagne, la neige, le minéral sont le fil rouge de ses créations.
Casser les codes
Après le conservatoire, sonne le temps de la liberté et de l’aisance dans l’espace. Mais le piano est contraignant, il faut user d’inventivité pour contourner le rituel statique des concerts, briser distance et codes. Techniques de jeux étendues, expérimentations et mises en scène, tout doit concourir à rapprocher l’artiste des auditeurs.
Le piano préparé est son instrument de prédilection. Pianos dérangés, spectacle pour la maîtrise de garçons de Colmar (2013), les soli Des pas sur la neige (2015) et Après Un Rêve (2018) l’attestent. Eve Risser explique ainsi ce choix et son mode de création : La corporalité exigée par le piano me ressemble. À la flûte, le corps entier est sollicité mais il ne produit qu’un seul son à la fois. Or, de manière générale, je me concentre davantage lorsque l’action se porte sur plusieurs choses simultanées
(citation extraite d’une interview de l’artiste réalisée par Anne Yven en 2022).
La valeur percussive du piano, installé au cœur du public ou sur scène, est également exploitée pour convier à la danse et à la transe (Rêve Parti, 2020).
Rébellion jazz
De 2007 à 2015, ses projets prennent des distances avec le jazz « classique ». Le jazz-pop du duo Donkey Monkey, formé avec la batteuse Yuko Oshima, lui fait parcourir le monde. Leur répertoire est autant parcouru de clins d’œil humoristiques à Carla Bley qu’à leurs origines nipponnes et alsaciennes. Eve Risser explore l’improvisation libre dans le trio En Corps, formé avec Benjamin Duboc et Edward Perraud, et dans son duo avec la pianiste Kaja Draksler, qu’elle qualifie de sœur. Elle crée aussi Brique, quartet punk-jazz, avec Luc Ex. Au sein de l’orchestre La Sourde, elle mêle baroque, jazz et classique. La liste de ces collaborations originales est longue et variée.
En 2014, elle fonde son grand orchestre White Desert Orchestra. Cinq ans plus tard, lui succède le Red Desert Orchestra. L’Afrique de l’Ouest et le Sahel ont donné vie à ce métissage du jazz avec d’autres traditions rythmiques, issu de la rencontre de musiciens et musiciennes européens avec des musiciennes maliennes et burkinabées, dans les programmes Kogoba Basigui et Eurythmia.
R(e)V(e)R, sa compagnie, naît en 2019 pour marquer vingt années menées tambour battant, évoluant, selon les mots de la musicienne, d’une forme poétique et lunaire vers une cohabitation, aujourd’hui, avec son côté rythmique et solaire
.
Auteure : Anne Yven
Août 2022