Rhoda Scott (1938-)
Organiste africaine américaine, Rhoda Scott est une légende du jazz. Grâce à son jeu physique ancré dans le swing, sa vélocité et son incroyable sens de la mélodie, elle compte parmi les plus grands représentants de sa tradition. Installée en France depuis la fin des années 1960, elle y a acquis une reconnaissance constante, jusqu’à devenir Officier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2008 et obtenir une Victoire du Jazz d’honneur en 2018.
De l’église au club
Née en 1938 à Dorothy, dans le New Jersey, Rhoda Scott grandit dans une famille religieuse. Elle se passionne dès sa petite enfance pour l’orgue Hammond qu’elle découvre dans l’église de son père pasteur. Autodidacte, elle remplace occasionnellement l’organiste titulaire pendant l’office. Elle s’y fait remarquer et intègre à 18 ans un orchestre itinérant qui anime les bals de la région le week-end.
Alors qu’elle commence à acquérir une certaine notoriété, elle monte son propre trio. Un soir de concert dans un bar, la tête d’affiche qui n’est autre que Count Basie l’invite dans son club à Harlem. Tout en se faisant ainsi une place dans la vie nocturne new yorkaise des années 1960, elle parfait son éducation musicale au Westminster Choir College (Princeton, New Jersey) puis à la Manhattan School of Music.
Une Américaine à Paris
En 1968, un an après avoir suivi les prestigieux cours de Nadia Boulanger au Conservatoire américain de Fontainebleau, Rhoda Scott s’installe en France. À Paris, elle s’insère dans le petit monde musical de Saint-Germain-des-Prés. Les Français la découvrent en 1969 dans l’émission télévisée de Denise Glaser, Discorama, et sa carrière explose. Elle collabore avec des stars du jazz (Ella Fitzgerald, Kenny Clarke), de la soul (George Benson, Ray Charles) comme de la variété (Eddie Mitchell). Bientôt, elle épouse Raoul Saint-Yves, qui dirige Le Bilboquet, l’un des clubs de jazz de la rive gauche de l’époque ; Bruno Coquatrix, le directeur de l’Olympia, l’accompagne à l’autel. Un premier album en duo avec Daniel Humair à la batterie, Take A Ladder, inaugure une série de disques édités chez Barclay ; elle en vend plus de 500 000 en dix ans. Suivront dans les années 1990 trois autres albums chez Verve.
Aujourd’hui, on peut entendre Rhoda Scott régulièrement dans les clubs de la rue des Lombards à Paris, ainsi que dans des projets de musiciens français tels qu’Emmanuel Bex, David Linx ou Aurore Voilqué. Lors de l'édition 2004 du festival Jazz à Vienne, elle crée le Rhoda Scott Lady Quartet avec Julie Saury, Sophie Alour et Airelle Besson, plus tard remplacée par Lisa Cat-Berro. Elles enregistrent l’album We Free Queens (Sunset Records) en 2017, en compagnie de Géraldine Laurent, Anne Pacéo et Julien Alour en guests. Dernièrement, portant le nombre total de ses enregistrements à plus d’une cinquantaine, elle a publié Movin’ Blues (L’Autre Distribution) en duo avec le batteur Thomas Derouineau, une formule instrumentale qu’elle affectionne particulièrement.
L’organiste aux pieds nus
Virtuose absolue de l’orgue Hammond, Rhoda Scott a développé sa propre technique de jeu de basses au pédalier qui lui permet de se passer de contrebassiste. Au départ par respect enfantin pour l’instrument d’église, puis par habitude, elle joue pieds nus de ce pédalier, d’où son surnom : « The Barefoot Lady » (« La Dame aux pieds nus »). Bien qu’elle ait signé quelques compositions, Rhoda Scott est surtout connue pour avoir fait vivre le répertoire de la tradition africaine américaine, et pour avoir fait « groover » d’illustres représentants de la musique populaire (The Beatles) et de la tradition classique (Bach).
Capable de puiser à l’envi dans des centaines de negro spirituals qu’elle connaît par cœur, Rhoda Scott n’a jamais cessé de jouer dans les lieux de culte, églises ou temples, des villes où elle a vécu. Pour elle comme pour de nombreux musiciens noirs américains, la musique est une manifestation du divin et constitue en tant que telle un chemin vers la spiritualité.
Auteure : Raphaëlle Tchamitchian
(Décembre 2020)