Personnalité emblématique d’une scène new-yorkaise underground qui, dans les années 1980, s’est affirmée en réaction à la vague néoclassique du jazz incarnée par Wynton Marsalis, en puisant ses références dans un champ très vaste de musiques populaires, Steven Bernstein fait partie de ces musiciens iconoclastes qui cultivent dans le jazz la fantaisie, au sein de projets décalés dont le plus représentatif est le groupe au nom délibérément provocateur Sex Mob.
Des contextes de jeu variés
Né le 8 octobre 1961 à Washington, Steven Bernstein débute à la trompette inspiré par des apparitions télévisées de Louis Armstrong. Au cours de son adolescence à Berkeley, en Californie, il écoute du free jazz (Cecil Taylor, Albert Ayler et, surtout, l’Art Ensemble of Chicago) aussi bien que du funk (P-Funk) et du rock (Jimi Hendrix). Inscrit dans une école pionnière qui dispense un cursus de jazz aux enfants, il participe en 1977 au Hieroglyphics Ensemble créé par l’un de ses condisciples, le saxophoniste Peter Apfelbaum, et fréquente par son intermédiaire Don Cherry qui vit alors dans la Baie de San Francisco. Installé à New York en 1979, il est marqué par la découverte du groupe Defunkt qui semble synthétiser ses premières amours musicales. Étudiant à la New York University, il a pour mentor le trompettiste Jimmy Maxwell, ancien de l’orchestre de Benny Goodman, qui le conseille sur les techniques de vibrato et de sourdine. Pendant plusieurs années, il évolue dans le milieu des musiciens de pupitre new-yorkais, jouant dans de contextes extrêmement variés (orchestres de salsa, big band, funk, musique caraïbe…) tout en fréquentant les lieux alternatifs du New York downtown, où se constitue la scène que l’on qualifiera du même nom, dont l’un des épicentres est la Knitting Factory. Gravitant entre avant-garde et punk, free jazz et funk, galerie d’art et clubs rock, il refuse alors l’étiquette de jazzman qu’il juge réductrice, à l’image du trio Medeski Martin and Wood qu’il fréquente en studio.
Un éclectisme revendiqué
En 1990, Steven Bernstein entre dans les Lounge Lizards du chanteur John Lurie, dont il devient le directeur musical. Parallèlement à ses activités de trompettiste, il mène une importante carrière de producteur pour des musiques de film, de télévision ou de variétés. En 1993, il crée Spanish Fly, un trio atypique avec le guitariste David Tronzo et le tubiste Marcus Rojas, dans lequel il s’essaye à la trompette à coulisse, un instrument tombé en désuétude, qu’il a acquis pour quelques dollars dans son adolescence. Il fait la connaissance du producteur Hal Willner, qui le recommande pour superviser la bande originale du film Kansas City de Robert Altman (1997). C’est le début d’une fructueuse collaboration qui débouchera sur plusieurs projets, notamment des hommages à Leonard Cohen et Howard Alden. En tant qu’instrumentiste, il participe à des orchestres dirigés par Carla Bley, David Murray ou Don Byron et fait partie de l’ensemble Kamikaze Ground Crew (six soufflants et un batteur). Ignorant les frontières entre les musiques et honnissant toute forme de purisme, Steven Bernstein revendique un éclectisme talentueux, capable de retrouver l’esprit ancien du jazz avec les Sultans of Swing de David Berger, d’accompagner le chanteur Lou Reed ou d’adapter la musique de Duke Ellington pour le chorégraphe Donald Byrd.
Sex Mob et autres projets
C’est cependant à la tête du quartet Sex Mob constitué en 1995 que se traduit le mieux l’œcuménisme musical de Steven Bernstein, son sens du second degré et son goût pour le travestissement sonore. Le groupe s’inscrit à contre-courant du jazz traditionnaliste, revendiquant un répertoire qui emprunte aux musiques les plus populaires (adaptations de hits, reprises rock, bandes originales des films de James Bond, hommage à Martin Denny, père de la musique « exotique »…) et un discours anti-virtuose. Parallèlement, le trompettiste participe au groupe Big Four avec Max Nagl, Noël Akchoté et Brad Jones, au grand orchestre de Satoko Fuji et dirige, épisodiquement depuis 1999, le Millennial Territory Orchestra, une moyenne formation dont l’instrumentation s’inspire de celle des orchestres régionaux des années 1930 sur un répertoire délibérément anachronique. Steven Bernstein a également signé une série d’albums dans la collection « Radical Jewish Culture » du label Tzadik dans laquelle il tisse des liens, réels ou subjectifs, entre jazz et culture juive, tous deux marqués, selon lui, par l’exil : Diaspora Soul (1999), Diaspora Blues enregistré avec le trio de Sam Rivers (2002), Diaspora Hollywood (2004) et Diaspora Suite (2008).
Auteur : Vincent Bessières