Marc Ribot (1954-)
Nourri de tout ce que la guitare a pu susciter comme discours en un demi-siècle de musiques populaires et improvisées, Marc Ribot a développé une approche très personnelle de l’instrument, inquiète et décalée, qui en fait l’une des personnalités centrales de la scène du jazz dite « downtown » new-yorkaise.
Un jazz blues and rock
Né le 21 mai 1954 à Newark (New Jersey), Marc Ribot début à la trompette avant de changer d’instrument à l’âge de onze ans au profit de la guitare. Il étudie l’instrument auprès de Frantz Casseus (1915-1993), considéré comme le père de la guitare classique haïtienne, qui est un ami de sa tante (depuis sa disparition, Marc Ribot a considérablement défendu sa mémoire en publiant et en enregistrant ses œuvres pour guitare seule). Attiré par le rock, Marc Ribot abandonne ces leçons au bout de trois années au profit d’un apprentissage plus informel dans des groupes de garage. Il cite comme premières influences Hubert Sumlin (guitariste de Howlin’ Wolf), Django Reinhardt, Wes Montgomery, Grant Green, Chuck Berry et Keith Richards, attiré moins par la virtuosité digitale que par l’expressivité et la personnalité affirmée de ces guitaristes. Après un passage par Boston, il s’installe à New York en 1977 avec l’intention de devenir guitariste de jazz. Ses expériences auprès d’organistes proches du rhythm’n’blues, tels Jack McDuff et Jimmy McGriff, le renvoient à ses insuffisances mais surtout le renforcent dans son désir de ne pas se laisser enfermer dans un genre musical, ni dans un discours codifié. Membre du groupe The Realtones, qui évolue entre punk rock et rhythm’n’blues, il a l’opportunité d’accompagner plusieurs stars de la soul music telles que Carla Thomas, Solomon Burke ou Wilson Pickett. Membre des Lounge Lizards de John Lurie de 1984 à 1989, Marc Ribot impose alors l’originalité de son style, étonnante synthèse d’une culture guitaristique marquée par les inflexions du blues, le bruitisme no-wave et l’énergie du rock. Les sonorités de sa guitare colorent les albums de Tom Waits et, par la suite, de nombreuses productions pop-rock (Alain Bashung, Elvis Costello, Marianne Faithfull…). S’il revendique l’étiquette du jazz, c’est dans le refus total de la nostalgie, au nom des figures pionnières, transgressives, qui affirmèrent des personnalités musicales fortes et singulières : Thelonious Monk, Eric Dolphy, Ornette Coleman, l’Art Ensemble of Chicago...
Multiples projets artistiques
Membre originel des Jazz Passengers de Roy Nathanson et Curtis Fowlkes, Marc Ribot a dirigé ses propres et ironiques Rootless Cosmopolitans (1990), avec Anthony Coleman et Don Byron, ainsi que le groupe Shrek, qui se place sous la double égide d’Albert Ayler et de Jimi Hendrix. C’est à la tête de ses Cubanos Postizos (Cubains factices) que Marc Ribot se fait connaître d’un public plus large : au travers de ses relectures distancées, feutrées ou acides, de thèmes afro-cubains, il rend hommage, en une sorte de négatif du Buena Vista Social Club, à Arsenio Rodriguez, l’inventeur du son montuno (1998). Parallèlement, il pratique régulièrement l’exercice du solo, lieu de toutes les déconstructions thématiques et explorations sonores, disposant d’une palette d’effets et de pédales incisive qui en fait un partenaire de choix pour John Zorn. Le saxophoniste et compositeur fait appel à lui dans des contextes très divers : musiques de film, relectures « électriques » du répertoire de Masada, sextet Bar Kohkba, etc. Il enregistre dans la série « Radical Jewish Culture » du label Tzadik tout en marquant une certaine distance vis-à-vis de la religion et de toute forme de repli communautariste (l’un de ses disques s’intitule Yo ! I Killed Your God).
À la manière de Zorn, Marc Ribot mène de front plusieurs groupes qui sont autant de projets artistiques pour lesquels il adapte son phrasé, sa technique, sa sonorité ainsi que le matériel auquel il a recours (il possède une large collection de guitares), refusant l’idée de développer un style spécifique au profit d’une polyvalence très large qui couvre les différents genres musicaux qu’il affectionne. Toujours, cependant, se maintient une sorte de distance, un refus de la complaisance, des émotions directes, des interprétations lisses et des phrases toutes faites. Outre que ces talents lui valent d’être abondamment sollicité pour apporter sa touche à de nombreuses productions phonographiques, ils lui permettent aussi de collaborer avec des cinéastes et chorégraphes qui lui confient la réalisation de bande-son. Revendiquant une musique toujours sur la brèche, il s’illustre, à partir du milieu des années 2000, à la tête de groupes qui reflètent ses ambitions musicale : Spiritual Unity, avec lequel il cherche à renouer avec l’intensité expressive d’Albert Ayler, Ceramic Dog, qui cultive l’art de la tension et Young Philadelphians, power trio free funk formé avec le bassiste Jamaaladeen Tacuma et le batteur G. Calvin Weston qui témoigne de l’attachement viscéral de Ribot à la musique noire.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : avril 2010)