Maria Schneider (1960-)
Considérée comme la digne disciple de Gil Evans, l’un des plus grands arrangeurs que le jazz ait compté, Maria Schneider a développé une œuvre de compositrice et de chef d’orchestre qui en fait non seulement l’une des plus réputées en matière d’écriture pour grande formation mais encore un symbole significatif de la féminisation du monde du jazz à l’orée du XXIe siècle.
Les premiers arrangements
Née le 27 novembre 1960 à Windom (Minnesota, États-Unis), une petite ville rurale, Maria Schneider apprend le piano dès l’âge de cinq ans avec une professeur venue de Chicago, Evelyn Butler, pianiste classique qui pratique le stride à ses heures perdues, dont l’enseignement passe par une forte sensibilisation aux règles de l’harmonie. Inscrite à l’université du Minnesota de 1979 à 1983, elle y étudie la théorie musicale dans un enseignement qui fait la part belle aux œuvres d’Elliott Carter, Charles Wuorinen et John Cage. Ne se reconnaissant pas dans cette sensibilité très moderniste, elle s’intéresse au jazz, découvrant par le biais de la radio la musique de Bill Evans ou de Thad Jones. Poursuivant ses études à l’université de Miami (1983-84), elle intègre finalement l’Eastman School of Music où elle parfait ses connaissances en matière d’écriture avec deux spécialistes de jazz, Bill Dobbins et Rayburn Wright.
C’est cependant en devenant l’élève en privé et la protégée de Bob Brookmeyer après son installation à New York en 1985 que Maria Schneider gagnera ses véritables galons ainsi que la confiance en son propre talent. Le soutien de Brookmeyer dans un milieu masculin lui permet de signer ses premiers arrangements pour le Thad Jones-Mel Lewis Orchestra. Parallèlement, elle devient l’assistante de Gil Evans pour lequel elle travaille notamment à la musique du film The Color of Money (Martin Scorsese) et sur le répertoire d’une tournée que le chanteur Sting effectue en Europe accompagné par le Gil Evans Orchestra (1987). Elle œuvrera aux côtés du maître jusqu’à sa disparition en 1988. Avec l’aide du tromboniste John Fedchock, elle forme cette année-là un big band de dix-huit musiciens qui, trois ans plus tard, porte son seul nom, Maria Schneider Orchestra, et publie son premier disque, Evanescence. La formation prend ses quartiers au club Visiones où il joue toutes les semaines jusqu’à la fermeture de l’endroit en 1998 (un disque enregistré en public en 2000 garde en partie la mémoire du répertoire de ces années).
Une écriture éloignée de la tradition
Sa réputation grandissante et la subtilité de son écriture valent à Maria Schneider de recevoir ses premières commandes d’importance : elle écrit des arrangements pour Toots Thielemans et le Norrbotten Big Band (Suède) en 1994, compose El Viento pour le Carnegie Hall Jazz Orchestra la même année, interprète une suite intitulée Scenes from Childhood, commande du festival de jazz de Monterey… ces deux dernières pièces figurant au répertoire de son deuxième disque, Coming About (1996). Maria Schneider s’écarte largement de la tradition de l’arrangement en jazz et des usages couramment appliqués à l’écriture pour big band en privilégiant les compositions aux arrangements de thèmes préexistants, et en développant des formes sophistiquées aux orchestrations délicates, au caractère impressionniste souvent d’inspiration personnelle. Entourée de musiciens qui lui restent fidèles, elle donne à la plupart de ses œuvres une dimension concertante mettant en valeur des solistes bien spécifiques. Publié en 2000, après un voyage au Brésil qui libère son expression et lui fait privilégier une émotion plus directe, Allégresse marque une étape décisive dans l’affirmation de son esthétique.
Brouillant les frontières entre sections de l’orchestre, élargissant sa palette de timbres (ajout de l’accordéoniste Gary Versace, polyvalence des saxophonistes qui, pour certains, maîtrisent également clarinettes, flûtes, voire cor anglais et hautbois, intégration de la voix de Luciana Souza traitée comme instrument, etc.), ainsi que son faisceau d’influences, Maria Schneider publie en 2004 le disque Concert in the Garden dont une partie de l’inspiration trouve son origine dans la musique espagnole, argentine ou brésilienne, et l’intérêt de la compositrice pour la danse. Fruit d’importantes commandes, Sky Blue, qui lui fait suite en 2007, emprunte quant à lui sa thématique aux voyages et aux chants des oiseaux migrateurs. Financé par souscriptions et mécénat selon un nouveau modèle économique baptisé Artist Share qu’elle est la première à adopter, ce disque comme le précédent rencontre l’adhésion de la critique comme du public qui voit en elle l’une des très grandes plumes actives du jazz contemporain.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : mai 2010)