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Mack the KnifeKurt Weill
Carte d’identité du standard Mack the Knife (Die Moritat von Mackie Messer) | |
Compositeur | Kurt Weill |
Parolier | Bertolt Brecht (version originale en allemand) Marc Blitzstein (version en anglais) |
Année de composition | 1928 |
Création | - par Kurt Gerron lors de la création de Die Dreigroschenoper, le 31 août 1928 au théâtre Schiffbauerdamm à Berlin (version originale) ; - en 1952 à l’université Brandeis (version en anglais de Blitzstein) |
Premier enregistrement jazz | en 1954 par Sidney Bechet (version instrumentale) sous le titre La Complainte de Mackie |
Tonalité principale | do majeur |
Structure musicale | thème de 16 mesures de forme AB |
En 1928, exactement deux cents ans après sa création, The Beggar’s Opera de John Gay et Johann Christoph Pepusch renaît à travers son adaptation en allemand. D’après la traduction du livret réalisée par Elisabeth Hauptmann fin 1927, Bertolt Brecht écrit un nouvel argument, Die Dreigroschenoper (L’Opéra de quat’sous), mis en musique par Kurt Weill (c’est la deuxième collaboration entre les deux hommes après la pièce Mahagonny-Songspiel, en 1927). Comme à son habitude, Weill compose dans l’urgence : il entame l’écriture seulement quatre mois avant la création et termine son travail alors que les premières répétitions ont déjà commencé. Peu de temps avant le lever de rideau, Brecht et Weill décident d’ajouter un numéro juste après l’ouverture afin d’introduire au mieux la nature mauvaise du personnage principal, le bandit Macheath : Die Moritat von Mackie Messer (La Complainte de Mackie), chantée par un policier, déroule ainsi la longue liste des méfaits perpétrés par l’antihéros (vols, meurtres, viols…).
Die Dreigroschenoper est créé le 31 août 1928 au théâtre Schiffbauerdamm à Berlin. C’est un véritable succès : après 250 représentations à Berlin, l’opéra connaît une cinquantaine de productions en Allemagne puis s’exporte en Europe, en URSS et au Japon. Dès 1930, Die Moritat von Mackie Messer devient un vrai tube à Berlin, entendu dans tous les cabarets et théâtres. En France aussi, la chanson est enregistrée sous le titre La Complainte de Mackie sur des paroles françaises d’André Mauprey, notamment par les chanteuses Florelle (présente dans la distribution de la version cinématographique du Dreigroschenoper) et Damia en 1931. Aux États-Unis, la pièce est adaptée pour Broadway en 1933 (sous le titre The Threepenny Opera), mais c’est un échec avec seulement 12 représentations.
En 1952, une nouvelle traduction anglaise du Dreigroschenoper, réalisée par Marc Blitzstein, est jouée à l’université Brandeis (Massachusetts) sous la direction de Leonard Bernstein. Cette fois, la pièce connaît un accueil très chaleureux, si bien que Blitzstein reçoit plusieurs offres pour l’adapter à Broadway. Mais c’est sur la scène « off-Broadway »Off-Broadway est un mouvement qui voit le jour dans les années 1950 : en réaction aux productions très commerciales de Broadway, des salles plus petites (entre 100 et 499 places) font représenter des œuvres théâtrales plus expérimentales., au théâtre De Lys près de Waverly Place, que The Threepenny Opera est d’abord donné le 10 mars 1954. C’est un immense succès.
Présent lors de la première au théâtre De Lys, le producteur George Avakian a une véritable révélation en entendant la ballade Mack the Knife (version anglaise de Die Moritat von Mackie Messer) : Soudain, cela m’a frappé comme une tonne de briques que la chanson d’ouverture ferait un excellent morceau de jazz
, se remémore-t-il par la suite. C’était seulement quelques mesures, mais ces changements et contrechants… Je continuais d’imaginer ce qu’un grand musicien de jazz pourrait en faire !
[1] Avakian commence alors à solliciter, en vain, des artistes de sa connaissance dont aucun ne semble intéressé par le titre, avant de se tourner vers Turk Murphy, tromboniste, arrangeur et chef d’orchestre. Si Avakian pense d’abord faire de Mack the Knife un instrumental (arguant que personne ne veut entendre ces paroles sanglantes
[2]), Murphy lui dit : Je connais le gars parfait pour cette chanson
[3], et lui recommande le chanteur Louis Armstrong.
Le 28 septembre 1955, Armstrong enregistre la chanson dans un arrangement original écrit par Murphy. Dans le studio, Lotte Lenya (épouse de Kurt Weill, chanteuse dans la distribution originale de 1928 et dans l’adaptation de Blitzstein) assiste à la séance et s’essaie même à un duo avec le trompettiste (qui n’aboutira pas cependant). Clin d’œil à la chanteuse, Armstrong ajoute alors malicieusement le nom de Lotte dans les paroles de la chanson, parmi la liste des conquêtes de Mack (ce qui sera, par la suite, repris par de nombreux artistes). À sa sortie, l’enregistrement est largement plébiscité : il se propulse à la 20e place dans les charts de Billboard et devient rapidement la version jazz de référence pour la chanson Mack the Knife. Face à ce succès, Turk Murphy regrettera longtemps d’avoir vendu ses droits d’auteur en tant qu’arrangeur...
Beaucoup d’autres chanteurs ont également interprété Mack the Knife : Bing Crosby (1957), Ella Fitzgerald (1960), Frank Sinatra (1984)... En 1959, l’enregistrement de Bobby Darin est un véritable hit, surpassant tous les autres en matière de succès : il reste au top pendant plusieurs semaines et remporte le Grammy de l’enregistrement de l’année.
Il existe aussi de nombreuses versions instrumentales de ce titre : celles du Dick Hyman Trio (1955) et de Les Paul (1956) parmi les premières, celles de Sonny Rollins (1957), de Wayne Shorter (1959), de Cootie Williams (1961)...
Le thème de la chanson est constitué de 16 mesures, divisées en deux sections A et B. Le contraste entre les rythmes pointés et les valeurs longues crée un balancement lancinant au fil des nombreuses strophes, répétées comme une rengaine.
Écouter le thème de Mack the Knife, de forme AB :
Sources principales
- BAUDOIN Philippe, notice d’œuvre
- FRIEDWALD Will, Stardust melodies : the biography of 12 of america’s most popular songs, Éditions Chicago Review Press, 2004
- GINER Bruno, Kurt Weill, Éditions Bleu Nuit, collection Horizons, 2019
- GIOIA Ted, The Jazz Standards : a guide to repertoire, Éditions Oxford University Press, 2012
- HUYNH Pascal, Kurt Weill ou la conquête des masses, Éditions Acte Sud, 2000
- http://www.jazzstandards.com/compositions-1/macktheknife.htm
Références des citations
Extraits vidéos
Sélection médiathèque
La médiathèque de la Philharmonie propose une sélection de CD, DVD et partitions autour du standard Mack the Knife.