Titi Winterstein (1956-2008)
Ancien enfant prodige, comme nombre de stars du jazz gitan, leader du groupe phare du swing manouche d’Allemagne, Titi Winterstein s’est imposé sur l’instrument roi des Tsiganes de l’Est – le violon – dans un style où prédominent la guitare et l’héritage de Django Reinhardt. Emblématique de l’éveil d’un intérêt pour la musique sinti en Allemagne, le déroulement de sa carrière n’a cependant rien changé à son mode de vie itinérant ni à sa fidélité à son peuple et à la musique de sa communauté.
Enfant prodige du violon
Né en 1956 à Breisgau (Allemagne), Titi Winterstein est issu d’une famille d’une cinquantaine de personnes exterminées dans les camps nazis d’Auschwitz et de Buchenwald. Son père Tokeli et son oncle en sont les uniques survivants. C’est à leur contact, notamment de son oncle qui est un grand admirateur de Django Reinhardt et lui fait écouter ses disques, qu’il se familiarise avec le jazz inventé par le génial manouche. Son père lui enseigne ses premiers rudiments de violon lorsqu’il a huit ans. Stéphane Grappelli est son modèle même si l’on écoute aussi chez lui d’autres violonistes comme Sandor Jaruka, Sandor Lakatos, Lajos Boros mais aussi Svend Asmussen et Joe Venuti. Lors des fêtes familiales, dans la région de Mayence, une ville importante pour les Sinti allemands, il développe avec ses cousins, les frères Holzmanno et Ziroli Winterstein (guitaristes) et Silvano Lagrene (pianiste, parent de Biréli), une envie de pratiquer la musique. Titi monte sur une scène pour la première fois à douze ans à l’occasion d’une fête marquant la fin d’un pèlerinage gitan à Illigen. Au même endroit en 1969, il conquiert son public en jouant des standards de son aîné violoniste Schnuckenack Reinhardt qui inaugurera peu après la collection « Musik Deutscher Zigeuner » animée par Siegfried Moker et destinée à faire découvrir la richesse de la musique des Tsiganes d’Allemagne. Titi Winterstein en sera, quelque temps plus tard, considéré comme l’une des figures centrales.
Quintet en famille
En 1972, alors qu’il est âgé de quinze ans et possède déjà une réputation de virtuose précoce, Titi Wintestein et ses cousins Holzmanno et Ziroli sont réunis dans le quintet du guitariste Häns’che Weiss sous la tutelle du contrebassiste Hojok Merstein. Plébiscité par la presse et le public, le groupe tourne abondamment en Europe et enregistre cinq albums avant que Holzmanno Winterstein ne le quitte. Il sera remplacé par Lulu Reinhardt. Au cours de ces premières années, Titi a l’occasion de partager la scène avec Stéphane Grappelli, son idole. Après le départ de Häns’che Weiss, Winterstein reprend la direction du groupe qui fait ses débuts en mai 1978 à l’occasion du festival de Dortmund. Fidèle à sa famille, son quintet accueille Silvano Lagrene au piano, instrument plutôt rare dans la musique de gens du voyage que celui-ci traite parfois à la manière d’un cymbalum. Leur répertoire est représentatif de la musique des Tsiganes allemands, plus perméable que celle des manouches de France ou des Flandres aux influences des pays d’Europe de l’est. Cette tradition mêle ainsi le swing hérité de Django Reinhardt et de Stéphane Grappelli et l’interprétation de standards de jazz à la musique hongroise (csardas et primas), à la valse typique des Biale (clan du nord de l’Allemagne), aux chansons en langue romanès et aux folklores des Tsiganes polonais ou roumains. Leur premier album, Saitenstrassen (« la rue des cordes ») qui accueille l’harmoniciste Lee Reed, porte le même titre qu’un documentaire que leur consacre alors une chaîne de télévision germanique.
Sur les routes du monde entier
Quatre autres albums suivront, enregistrés entre 1980 et 1987, années fastes pendant lesquelles le groupe sillonne l’Europe. Ces disques s’ouvrent à différents invités (accordéoniste, chanteuses, guitaristes…) mais c’est le mariage de la guitare de Lulu Reinhardt et du violon de Titi Winterstein et les capacités de soliste de chacun qui en demeurent les principaux intérêts (Djinee Tu Kowa Ziro, 1987). Outre un voyage aux États-Unis en 1989, le groupe poursuit une carrière très visible en Allemagne où il participe activement à la défense des droits des Tsiganes et des Roms. En 1993, par le biais du violoniste Volker Bisenbänder, Titi Winterstein partage la scène avec Yehudi Menuhin dans le cadre du festival All the World’s Violins organisé à Bruxelles. L’année suivante est marquée par la parution d’un nouvel album, Maro Djipen à l’occasion duquel le violoniste renoue avec le pianiste Silvano Lagrene, un temps absent de la formation. En 1998, le groupe est invité en France, pays où ses apparitions demeurent rares, à participer à une « nuit manouche » organisée par le festival Banlieues bleues. L’année suivante, c’est la Cité de la musique qui l’inscrit dans un cycle « Jazz et musique traditionnelle ». Il y revient en 2005 dans le cadre d’une programmation dédiée au jazz manouche, considéré après plus de trois décennies de carrière comme l’un des représentants les plus intègres de la tradition musicale des Sinti allemands.
Auteur : Vincent Bessières