Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juillet 2005)
Sophia Domancich (1957-)
Musicienne déterminée, creusant le sillon d’un art pianistique s’exprimant aux frontières du jazz et des musiques improvisées, Sophia Domancich cultive l’exigence et la fidélité des collaborations durables.
L’école de Canterbury
Née le 25 janvier 1957 à Paris, Sophia débute à l’âge de six ans ses études musicales, achevées au Conservatoire national supérieur de musique de Paris par un premier prix de piano et de musique de chambre. De cette formation, elle conserve un fort attachement à son instrument sur lequel elle a assidûment travaillé en solo et une attention aux correspondances mais aussi, par rejet, un refus de tout académisme. Découvrant le jazz et l’improvisation en 1979 grâce à ses rencontres avec Steve Lacy et Jean-Louis Chautemps, elle affine sa pratique en jouant en duo avec Laurent Cugny qui l’invite à rejoindre son big band Lumière. On l’entend également au sein de l’orchestre Quoi de neuf docteur de Serge Adam. Sa rencontre avec le batteur Pip Pyle l’amène à fréquenter des musiciens anglais issus du rock progressif (école de Canterbury) comme le bassiste et chanteur John Greaves ou le saxophoniste Elton Dean et le bassiste Hugh Hopper (deux anciens du groupe Soft Machine), avec qui elle participe, ainsi que Didier Malherbe (un ancien de Gong, comme Pyle) à la formation du groupe Equip’ Out (enregistrement en 1986). Elle y apprend à générer et gérer les énergies.
En trio avec Tony Levin et Paul Rogers
Ayant entendu son premier disque (Funerals, 1991), le batteur anglais Tony Levin l’invite ainsi que le contrebassiste Paul Rogers à jouer avec lui trois semaines au Ronnie Scott’s à Londres. C’est le début d’une fructueuse collaboration – dont quatre albums témoignent – qui, huit années durant, leur permettra d’explorer en profondeur un répertoire principalement écrit par la pianiste : Le temps est pour moi une notion essentielle
, dit-elle, j’aime les formations qui durent... J’écris pour moi mais aussi en fonction de mes partenaires
. Sophia Domancich donne dans ce trio la mesure de sa sensibilité, de son sens mélodique, attentive aux silences, révélant une certaine mélancolie diaphane que déchirent des orages contrôlés, et qui n’est pas sans révéler des parentés avec sa confrère Marilyn Crispell : L’improvisation telle que je cherche à la pratiquer en solo ou en trio demande une ouverture d’esprit et une disponibilité totales. Le but étant de repousser les limites qu’on s’impose, de chercher une expression plus libre, plus directe
. Dans cette musique d’écoute et de respiration aux qualités impressionnistes, refusant les automatismes, l’écrit s’imbrique étroitement à l’improvisé, dans une musique explorant les vertus de la lenteur et laissant s’installer des atmosphères au parfum de mystère. Je ne prétends pas innover, j’essaye juste de m’exprimer, en évitant si possible de reproduire ce que d’autres ont déjà fait
, résume-t-elle.
D’une formation à l’autre
En 1995, elle forme un quartet avec deux trompettistes, Jean-François Canape et Patrick Fabert. Sollicitée par Didier Levallet en 1997 pour faire partie de l’Orchestre national de jazz, elle développe une activité d’accompagnatrice qui, tout en gardant des liens avec les musiciens britanniques (Evan Parker, Paul Dunmall), la rapproche de la scène hexagonale (Eric Barret, Jean-Jacques Avenel, Claude Barthélemy qui l’invite à la création de Barthématiques à la Cité de la musique…). En 1999, l’Académie du jazz lui décerne le prix Django-Reinhardt qui salue le musicien français de l’année. En 2001, se recentrant sur sa propre musique, Sophia Domancich forme un nouveau trio avec le contrebassiste Claude Tchamitchian et le batteur Simon Goubert, qui explore des formes davantage ouvertes à l’improvisation. Augmenté de Michel Marre et de Jean-Luc Cappozzo, ce trio constitue le fondement du quintette Pentacle (qui enregistre un album en 2003 pour le label Sketch) dont l’originalité repose notamment sur l’association des timbres de l’euphonium et de la trompette.
Renouant avec le chanteur John Greaves en 2002, dans un trio complété par la violoncelliste Vincent Courtois, elle retrouve également Elton Dean (avec qui elle enregistre en duo) puis, avec ce dernier et Hugh Hopper, participe à la création du groupe Soft Bounds en 2005 avec Simon Goubert à la batterie, qui s’inscrit explicitement dans l’héritage de Soft Machine. D’une formation à l’autre, on retrouve les mêmes ou presque - pourquoi se priver de jouer avec les gens qui vous sont proches du moment que la musique est à chaque fois différente ?