D’une grande sensibilité, le jeu économe d’Anouar Brahem sur le luth arabe al-cûd reste marqué d’une personnalité intense mais revêtue d’un calme olympien. Finesse et virtuosité demeurent au service de la musique et en sont les nerfs moteurs.
Influence de l’héritage turc
Anouar Brahem est né en 1957 dans le quartier populaire de Halfaouine, dans la médina de Tunis. Sa technique doit cependant à la tradition musicale turque à laquelle le jeune musicien est tout aussi attaché que respectueux. Cette technique se ressent dans la recherche sonore, qualité faite de moelleux et de profondeur, d’absence de la résonance du plectre : elle caractérise l’esthétique égyptienne. La Tunisie se maintient ainsi dans l’héritage turc qu’elle n’a cessé d’admirer. Cela est principalement dû au fait que l’un des premiers Beys, Rachid Bey, turc de naissance et fondateur au XVIIIe siècle de la dynastie huseinite, fut un mécène avisé et rénovateur de l’art musical arabo-andalous.
Dans le respect de la tradition
Anouar Brahem est l’élève du joueur de luth Ali Sriti, dont la révélation dans son propre pays n’a été que tardive. Le jeu du disciple s’avère plus traditionnel que celui du maître, avec qui il a joué en duo, bien que parallèlement Brahem ait cherché à s’imposer dans ce type de rencontre musicale que l’on appelle fusion. Elle a permis à maints musiciens orientaux d’échanger de manière féconde avec des artistes de l’Occident. Chez Brahem, l’improvisation instrumentale s’apparente à l’art du taqsîm, qui lui imprime davantage l’aspect d’une pièce de composition qu’elle ne la rapproche d’une forme libre de développement. Le jeu du musicien est donc plutôt une rénovation dans l’esprit classique qu’une transformation moderne de l’art traditionnel. Sans doute Brahem appartient à cette aire musicale d’Afrique du Nord beaucoup plus respectueuse de la tradition qu’on ne le pense. Toutefois, sa démarche est d’instaurer dans la musique tunisienne une direction instrumentale autonome, séparée de la voix humaine, base de la musique arabe.
Artiste apprécié et sollicité
Ce n’est pas simplement un artiste né, mais un musicien choyé. Adulé. La coqueluche de son pays. Il est sollicité de toutes parts. N’a-t-il pas même composé la musique du film Halfaouine, de Farid Boughedir, reçu en 1985 le grand prix national de la musique ? Brahem est aussi un artiste voyageur qui a roulé sa bosse un peu partout, choisissant Munich pour lieu de ses publications discographiques. Il représente à l’heure actuelle la réussite d’un rêve, celui d’arriver à faire une musique authentique qui transcende les modèles techniques en accordant l’essentiel à l’expression. Il improvise donc sur son instrument, le cûd, qui n’a plus de secret pour lui. Il fredonne aussi lorsqu’il est emporté par sa passion. Façon d’intérioriser son art. C’est toutefois une couleur nouvelle qu’il ajoute au timbre de son instrument. Mais son souci premier est également de se mettre à l’écoute d’autres musiciens : on l’a vu ainsi croiser sa palette musicale avec le saxophoniste Jan Garbarek, avec les tsiganes turcs, les frères Erkose ou Manu Dibango. Il est souvent en compagnie de musiciens de jazz.
Auteur : Christian Poché
(extrait des notes de programme du concert du 20 janvier 1995 – musiques du Maghreb)