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Le Tombeau de Couperin Maurice Ravel
Carte d’identité de l’œuvre : Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel |
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Genre | musique pour instrument seul | |
Composition | en juillet 1914 à Saint-Jean-de-Luz puis de juin à novembre 1917 à Lyons-la-Forêt | |
Création | le 11 avril 1919 à la salle Gaveau, aux concerts de la Société de Musique Indépendante à Paris, par Marguerite Long au piano | |
Forme | suite de six pièces : I. Prélude, vif II. Fugue, allegro moderato III. Forlane, allegretto IV. Rigaudon, assez vif V. Menuet, allegro moderato VI. Toccata, vif |
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Instrumentation | piano seul | |
Orchestration de Maurice Ravel | ||
Genre | musique symphonique | |
Composition | en 1919 | |
Création | le 28 février 1920 à Paris, par les Concerts Pasdeloup | |
Forme | suite de quatre pièces : I. Prélude, vif II. Forlane, allegretto III. Menuet, allegro moderato IV. Rigaudon, assez vif |
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Instrumentation | bois : 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons cuivres : 2 cors, 1 trompette cordes pincées : 1 harpe cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
Ravel débute en avril 1914 la composition de cette œuvre par la seule Forlane, dont il écrit humoristiquement lui-même : Je turbine à l’intention du pape. Vous savez que cet auguste personnage […] vient de lancer une nouvelle danse : la forlane. J’en transcris une de Couperin.
Peu à peu vont s’ajouter les autres danses que Ravel va assembler en un recueil pour piano, qu’il intitule Le Tombeau de Couperin. Il ne s’agit pas d’une composition funèbre, tel un requiem, mais plutôt d’une composition poétique ou musicale, créée par l’artiste en l’honneur de quelqu’un. Si la première pièce est directement puisée dans l’œuvre de Couperin, il n’en est pas de même des suivantes. Dans l’esprit de Ravel, il s’agit plutôt de s’inspirer librement du XVIIIe siècle français tout entier, ce qu’il résume d’ailleurs bien lui-même : L’hommage s’adresse moins […] à Couperin lui-même qu’à la musique française du XVIIIe.
En fait, Ravel n’écrit pas de véritables « mouvements » comme dans une symphonie, mais s’inspire ici de l’esprit des suites de danses que des compositeurs comme Couperin ou Rameau ont écrites pour le clavecin. Il ne s’agit donc finalement pas de copie, ni de pastiche, mais de libre interprétation revisitée des compositeurs du XVIIIe siècle.
Une des spécificités du Tombeau de Couperin réside dans le fait que le compositeur a tenu à dédier chacune des pièces à ses amis tués sur le front durant la guerre ; lui-même a d’ailleurs voulu se faire engager durant le conflit. Le Prélude est dédié à Jacques Charlot, qui avait transcrit pour le piano des œuvres de Ravel. La Fugue est dédiée quant à elle à Jean Cruppi, alors que la Forlane et le Rigaudon sont dédiés respectivement à son ami de Saint-Jean-de-Luz, le lieutenant Gabriel Deluc, et à Pierre et Pascal Gaudin, deux frères tués le même jour, eux aussi originaires de la même ville. Le Menuet est offert à la mémoire de Jean Dreyfus, beau-fils de sa marraine de guerre, chez laquelle il finira d’écrire le Tombeau de Couperin. Enfin, la Toccata finale, virtuose, est dédicacée au mari de sa fidèle amie la pianiste Marguerite Long, Joseph de Marliave, musicologue mort à Senon, dès le 24 août 1914.
Déroulé de l’œuvre et caractéristiques des thèmes
Comme souvent, Ravel transcrit pour orchestre une œuvre précédemment écrite pour piano. Il réduit cependant les six danses d’origine à quatre, dont il change l’ordre d’exécution : Prélude, Forlane, Menuet et Rigaudon. Il choisit aussi un orchestre réduit : il s’agit, là encore, d’un hommage aux petits ensembles d’instrumentistes du Siècle des Lumières. Aux cordes frottées habituelles vient se joindre la harpe, alors que les bois se réduisent à 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes et 2 bassons (ces instrumentistes pouvant occasionnellement au cours de l’œuvre faire entendre un piccolo ou un cor anglais). Les cuivres, quant à eux, sont plus réduits encore : 2 cors et une seule trompette. Le Tombeau de Couperin pour orchestre est créé en février 1920, puis Forlane, Menuet et Rigaudon sont dansés par les Ballets suédois, au Théâtre des Champs-Élysées, dès novembre 1920.
Le Prélude, souple et rapide, présente une sorte de flux ininterrompu joué en alternance par le hautbois et les clarinettes, soutenu par les pizzicatos des cordes. Celles-ci reprennent d’ailleurs (avec l’archet) le même motif joué par les bois, en dialoguant avec eux.
La Forlane présente quant à elle un thème bien caractéristique, un peu claudiquant, joué par les premiers violons accompagnés par le reste des cordes, le cor anglais, les bassons et les cors. Ce thème est ensuite repris par le hautbois, accompagné par les pizzicatos des cordes, avant d’être échangé par les autres instruments, dont la flûte et la clarinette.
Dans le Menuet, vieille danse aristocratique à trois temps, Ravel sollicite à nouveau le timbre du hautbois pour énoncer le thème, avant que celui-ci ne soit repris par la flûte. La partie centrale fait disparaître ce thème, qui réapparaît à la fin du morceau.
L’énergique Rigaudon réveille le public après la fin rêveuse du Menuet : un premier motif, très bref, est joué fortissimo par tout l’orchestre, avant que les clarinettes doublées par les premiers violons ne jouent une guirlande rapide de doubles croches. La même alternance caractéristique entre les accords joués fortissimo et le flot volubile qui en découle structure l’ensemble de la danse. Un court passage, indiqué « moins vif » permet d’introduire un second moment de caractère différent, avant la reprise du tout premier motif, qui finira par conclure l’œuvre avec panache.
Caractéristique principale | Orchestration remarquable | |
Prélude | souple et rapide | hautbois |
Forlane | rythme de « sicilienne » | pizzicatos des cordes, alternance des solos |
Menuet | danse à trois temps | hautbois |
Rigaudon | danse à deux temps | tutti de l’orchestre |
Suggestions d’écoute
- Pour mesurer la distance et la part de libre réinterprétation de Ravel, écouter des suites écrites pour clavecin par Couperin ou Rameau.
- Pour apprécier le travail d’orchestration de Ravel, écoute comparative des deux versions de Ma Mère l’Oye (version pour piano à quatre mains et version pour orchestre).
- Explorer les autres sources d’inspiration de Ravel : la Grèce antique dans Daphnis et Chloé, l’Espagne dans la Rapsodie espagnole, l’enfance et le fantastique dans L’Enfant et les sortilèges et l’orientalisme dans Shéhérazade.
Auteur : Bruno Guilois