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Œuvre
Didon et Énée
Henry Purcell
Carte d'identité de l’œuvre
Carte d’identité de l’œuvre : Didon et Énée de Henry Purcell |
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Genre | opéra |
Librettiste | Nahum Tate, d’après sa tragédie Brutus of Alba, or the Enchanted Lovers, tirée du Livre IV de L’Énéide de Virgile ; épilogue de Thomas d’Urfey |
Langue du livret | anglais |
Composition | 1683-1684 ? à Londres (Angleterre) |
Création | 1684 ou 1685 à la cour de Charles II d’Angleterre ou dans les appartements de Windsor Repris en décembre 1689 dans un pensionnat de jeunes filles nobles de Chelsea (Londres), sous la direction de Josas Priest |
Forme | prologue, 3 actes, épilogue |
Instrumentation | Voix : Solistes et chœur Orchestre : - Cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles - Clavier : clavecin (pour le continuo) - Cordes pincées : éventuellement théorbe (pour le continuo) |
Contexte de composition et de création
Si Didon et Énée – unique opéraPurcell a également écrit Dioclesian, King Arthur, The Fairy Queen, The Indian Queen, mais il s’agit de semi-operas, un genre situé à mi-chemin entre le théâtre et l’opéra, dans la mesure où les dialogues parlés y sont très importants et où les personnages principaux ne chantent pas. de Purcell – rend le compositeur célèbre, l’histoire de sa création est nimbée de mystères. Sa genèse et les conditions de sa première représentation sont troubles, notamment parce que le manuscrit original est perdu. Le texte du librettiste Nahum Tate (1652-1715) est sauf, mais le manuscrit musical qui sert aujourd’hui de référence ne dira jamais s’il reflète de près ou de loin la musique originellement composée.
La brièveté de l’œuvre peut s’expliquer par le fait que Purcell a dû s’adapter aux interprètes amateurs du pensionnat (amateurs très éclairés et musiciens dans ce contexte néanmoins). Ce format peut également être ainsi conçu pour répondre à la demande du roi : représenter au palais des œuvres proches de la tragédie lyrique, alors en vogue à la cour française à la même époque.
Si l’ajout de danses peut être une conséquence de l’enseignement dispensé au pensionnat, c’est aussi une référence au mask anglais, qui allie déclamation, chant et danse, costumes extravagants, changements de décors fastueux pour former un divertissement soulignant souvent la dichotomie entre les mondes du bien et du mal.
L’argument de l’œuvre fait écho à la tradition du poète latin Virgile (70 av. J.-C.–19 av. J.-C.) en reprenant le Chant IV de son Énéide. Nahum Tate transpose et modifie une partie de l’intrigue (l’orage est déclenché par les sorcières pour troubler les amours des héros et non pour les rapprocher).
Cette œuvre consacrera Purcell qui mourra cinq ans plus tard à l’âge de 36 ans. Il marque à jamais l’histoire de l’opéra anglais. Le compositeur français Hector Berlioz s’emparera à son tour des destins de Didon et Énée dans l’écriture d’un opéra monumental, Les Troyens, en 1890.
L’argument
Acte I. Le palais
Didon, reine de Carthage, a recueilli dans son palais Énée, prince de Troie, en fuite après la destruction de sa cité. Belinda, sœur et confidente de Didon, s’aperçoit que, craignant de décevoir son peuple, la reine souffre de ne pas pouvoir révéler l’amour qu’elle éprouve pour Énée. Après avoir incité Didon à se confier à elle, Belinda, soutenue par sa suivante et le chœur des courtisans, encourage la reine à admettre que ses sentiments sont partagés et que son union avec Énée ferait la prospérité des deux royaumes et le bonheur des époux.
Énée accompagné de sa suite paraît auprès de Didon et se déclare. Touchée par le destin du Troyen, Didon finit par céder, réjouissant ainsi la cour.
Acte II
La grotte
Dans sa grotte, l’Enchanteresse convie ses sœurs les sorcières, elles se réjouissent de la préparation d’un maléfice : la reine Didon sera confrontée au malheur avant le coucher du soleil et Carthage sera détruite. Dans ce dessein, l’elfe de l’Enchanteresse se présentant sous les traits de Mercure et prétendument envoyé par Jupiter ordonnera à Énée de prendre la mer sur le champ en direction de l’Italie pour refonder Troie. Mais les sorcières décident de provoquer d’abord une tempête qui gâchera la chasse à laquelle Didon et Énée prennent part.
Le bosquet
Didon, Énée et la suite de la cour se reposent dans un bosquet. Belinda se réjouit de cette partie de chasse dans un décor si beau et si giboyeux ; une suivante évoque le bain de Diane et la fin d’Actéon qui, trop curieux de la scène, fut tué par ses propres chiens. Énée renchérit et rappelle le sort tragique du chasseur Adonis, amant de la déesse de l’amour, mortellement blessé par un sanglier. Mais l’orage gronde et la cour rejoint la ville, laissant Énée seul avec l’Esprit qui lui intime de suivre les ordres de Jupiter en abandonnant Carthage et Didon pour refonder Troie. Énée, désespéré de quitter Didon, se plie aux injonctions des dieux cependant que les sorcières se délectent de leur réussite dans une danse furieuse avec les nymphes.
Acte III
Les navires
Les marins d’Énée s’affairent avant de lever l’ancre. Les sorcières se réjouissent de la réussite de leur complot et préparent désormais la tempête en mer contre la flotte du prince de Troie, qui entraînera le châtiment de Didon et la destruction de Carthage.
Le palais
Au palais, Didon se lamente et en appelle au destin lorsqu’Énée paraît, assurant que leur séparation est la volonté des dieux. Elle lui reproche de l’abandonner, il proteste et décide de braver l’injonction divine par amour. Didon, convaincue d’avoir été bernée par son amant, le renvoie et, devant l’insistance d’Énée, menace de se tuer. Après le départ du prince, Didon s’abandonne à la mort avec une ultime lamentation dans les bras de Belinda. Le chœur appelle les amours célestes pour veiller à jamais sur sa dépouille.
Les personnages et leur voix
(les personnages du Prologue sont omis)
- Didon, reine de Carthage, soprano
- Belinda, sa sœur, soprano
- Deuxième Suivante, soprano
- L’Enchanteresse, mezzo-soprano
- Première Sorcière, soprano
- Seconde Sorcière, soprano
- Un esprit, mezzo-soprano
- Énée, ténor
- Un marin, ténor
Le langage musical
Le langage musical de l’époque baroque (ca. 1600–1750) est tonal, il utilise à des fins expressives des changements de tonalité (à la dominante, au relatif mineur) et est caractérisé par l’emploi de la basse continueligne mélodique à fonction harmonique, à réaliser en improvisation à partir de chiffrages par un ou plusieurs instruments formant le continuo, comme le clavecin, le théorbe, le violoncelle.
Purcell, pour illustrer et renforcer les ressorts dramatiques et tragiques de l’histoire, utilise des figuralismes qui traduisent musicalement un mot, une intention ou une émotion. L’exemple le plus célèbre est celui de la mort de Didon : cet air est soutenu par la répétition (basse obstinéeProcédé de composition typique de la période baroque, qui consiste à répéter durant tout un morceau un motif unique à la basse. Il est particulièrement utilisé par les compositeurs anglais sous le nom de ground ou ground bass. Outre l’air de la mort de Didon, on trouve deux autres exemples de ground dans le Didon et Énée de Purcell : air « Ah Belinda » (acte I) et « Oft she visits » (acte II).) d’une ligne descendante qui figure le glissement inéluctable vers la tombe ; de plus, cette ligne débute avec un chromatismesuccession de demi-tons dans une ligne mélodique qui accentue l’affliction.
On note également le soin particulier qui est conféré aux parties vocales par le large spectre des différents timbres utilisés. De la plainte de Didon évoquée ci-dessus aux ricanements des sorcières, du caractère lugubre des voix dans le registre grave aux jeux d’écho répondant à la profondeur des cavernes, Purcell déploie une palette riche et foisonnante, toujours au service du renforcement de l’action, des atmosphères – notamment celle du merveilleux surnaturel – et des émotions.
Zoom sur le chœur « Come away, fellow sailors » (Acte III)
Au début de l’acte III, les marins s’affairent avant de reprendre la mer. Après un prélude instrumental, le 1er marin entonne un chant repris en chœur par ses compagnons.
Come away, fellow sailors, your anchors be weighing,
Time and tide will admit no delaying.
Take a boozy short leave of your nymphs on the shore,
And silence their mourning
With vows of returning,
But never intending to visit them more,
No never intending to visit them more.
Partons camarades marins, levons l’ancre,
L’heure et la marée ne peuvent attendre.
Buvez et prenez vite congé de vos nymphes à terre,
et faites taire leurs pleurs
en promettant de revenir,
mais sans intention de les revoir jamais,
mais sans intention de les revoir jamais.
Le tempo rapide et la métrique ternaire renforcent le caractère dansant. La mélodie s’apparente à celle d’une chanson à boire (genre alors en vogue à l’époque).
Purcell reprend la tonalité de si♭ majeur qu’il a déjà utilisée pour la première scène des sorcières : c’est une façon de traduire l’emprise maléfique de celles-ci sur l’action.
La frénésie des préparatifs et du départ est représentée par des entrées en imitationLes différentes voix du chœur entrent les unes après les autres de façon rapprochée, tout en empruntant le même motif : elles s’imitent. convergeant vers une homorythmieToutes les voix chantent sur le même rythme. qui fait penser à des pas décidés, résolus et à un entrain général.
La ligne de basse chromatique descendante sur « mourning » dans la phrase « And silence their mourning » (« et faites taire leurs pleurs ») traduit la peine des femmes quittées par les marins et annonce plus particulièrement et symboliquement la basse obstinée (ou ground) qui accompagnera le lamento de Didon à l’acte III.
Pour illustrer par contraste le peu de scrupules des marins à quitter ces femmes et à ne jamais les revoir, les « no never » dans la phrase « No never intending to visit them more » (« mais sans jamais envisager de les revoir ») sont scandés et leur effet est accentué par leur répétition et leur caractère déterminé.
Le chœur est suivi par la danse des marins.
Zoom sur « Your counsel all is urg’d in vain » (Acte III)
Ce trio rassemble d’abord Didon et Belinda puis Énée. C’est le dernier ressort dramatique dans la trame narrative de l’opéra. Didon est au courant du revirement d’Énée : elle va exprimer sa plainte, sa colère et son renoncement.
Your counsel all is urg’d in vain,
To earth and heaven I will complain;
To earth and heaven why do I call?
Earth and heaven conspire my fall.
To Fate I sue, of other means bereft,
The only refuge for the wretched left.
Tous ces conseils sont vains ;
à la terre et au ciel je me plaindrai.
Mais pourquoi en appeler à la terre et au ciel ?
si le ciel et la terre conspirent pour ma chute ?
Privée de tout autre recours, je m’en remets au destin,
unique refuge laissé aux malheureux.
Dès le début, la pédale (note grave tenue) dans le mode mineur donne une coloration tragique à la scène. Didon adresse ses plaintes à la terre et au ciel : sa détresse est renforcée par la triple répétition quasi à l’identique du motif « earth and heaven » (« la terre et le ciel »), qui culmine au sol aigu sur « le ciel ») pour s’effondrer et redescendre une octave plus bas pour simuler la chute (« fall ») et terminer la course de sa première phrase (« unique refuge laissé aux malheureux ») encore plus bas, au ré.
Lorsqu’Énée paraît, Belinda plaide la fidélité de l’amant en déchiffrant la tristesse de son regard à l’idée de devoir quitter Didon sur demande des dieux. Devant la réaction de Didon, Énée se résout à braver l’ordre : « Jupiter dira ce qui lui plaît, je reste ! », mais Didon le rejette :
AENEAS
Let Jove say what he will, I’ll stay!
DIDO
Away, away!
AENEAS
No, no, I’ll stay
DIDO
No, no, away, away!
To death I’ll fly if longer you delay.
AENEAS
I’ll stay, and Love obey!
DIDO
Away, away!
[Exit Aeneas.]
ÉNÉE
Jupiter dira ce qui lui plaît, je reste !
DIDON
Partez, partez !
ÉNÉE
Non, non, je reste !
DIDON
Non, non, partez, partez !
Je volerai à la mort si vous vous attardez.
ÉNÉE
Non, non, je reste, et j’obéis à l’amour !
DIDON
Partez, partez !
(Énée sort)
Le discours musical s’accélère avec des réponses de plus en plus précipitées entre « away, away! » (« Partez, partez ! ») et « No, no, I’ll stay » (« Non, non, je reste ! »). Pour mettre en valeur l’opposition entre l’espoir d’Énée et le renoncement de Didon, Purcell joue sur les couleurs en alternant modes majeur et mineur (sib M / sol m) et sur les mouvements mélodiques contraires (ascendants pour Énée et descendants pour Didon) qui indiquent les désaccords entre les protagonistes.
C’est dans une agitation croissante que se chevauchent les voix, sans espoir de se rejoindre. Énée part suite à un ultime « away, away! » de Didon.
Didon finit seule, dans le ton initial de sol mineur, prête à se confronter à sa mort, inéluctable :
But Death, alas! I cannot shun;
Death must come when he is gone.
Mais la mort, hélas, je ne puis éviter ;
La mort ne peut que venir après son départ.
Auteure : Anne Thunière