Leo fender (1909–1991)

Clarence Leonidas « Leo », nait le 10 août 1909 dans la banlieue de Los Angeles, entre les deux communes d’Anaheim et Fullerton. Il grandit dans la ferme familiale (ses parents cultivent légumes et oranges). Il reçoit une éducation musicale et s’initie au saxophone et au piano. Il ne jouera jamais de guitare ! Grâce à un oncle qui tient un garage, il se passionne dès ses plus jeunes années pour les moteurs électriques et répare des postes de radio. Il acquiert des connaissances en électronique tout en suivant des études universitaires en comptabilité.

À la fin des années 1930, il perd son emploi de comptable et décide de se consacrer à sa passion : l’électronique. Il ouvre en 1938 une boutique de vente, de location et de réparation de matériel électronique à Fullerton sur le Harbor Boulevard, qu’il baptise Fender Radio Service. En 1940, les affaires fleurissant, Leo s’installe en centre-ville dans des locaux plus grands au 112 South Spadra. Doté d’un esprit curieux, il expérimente, étudie les objets qu’il vend ou qu’il répare et devient très vite un véritable « expert autodidacte » en électronique. En 1941, Il conçoit un système de sonorisation mobile et acquiert une certaine renommée. Il reçoit de nombreux guitaristes de musique country (dont il est lui-même un grand amateur) et électrifie, à leur demande, leur guitare spanish.

Sa rencontre avec Clayton « Doc » Kauffman, musicien et constructeur de lap steel (guitare hawaïenne) chez Rickenbacker, oriente radicalement sa carrière vers la fabrication d’instruments de musique. En 1945, ils fondent ensemble la K&F Manufacturing Corporation. Les ateliers fabriquent des guitares lap steel et leurs amplificateurs, instruments à la mode dans les années 1920 et 30 pour servir un style de musique en vogue : le Western Swing (mélange de country et de jazz-swing New Orleans). Ils déposent plusieurs brevets d’invention dont un pour un nouveau microphone (capteur électromagnétique présent sur les guitares électriques) en 1944 et l’année suivante pour une lap steel frappée du logo K&F.

La Radio and Television Company, dirigée par Donald D. Randall (que Leo a rencontré quelques années auparavant), devient leur distributeur exclusif et établit des concessionnaires Fender dans tout le pays. Les musiciens de Western Swing (Hank Thompson, Spade Cooley, Wade Ray, Bob Wills, Leon Mcaulff) contribuent à la notoriété des produits Fender, réputés pour leur solidité et leur qualité sonore. Début 1946, l’activité de l’entreprise augmente et deux employés sont embauchés : Ray Massie et Dale Hyatt. En décembre 1946, Fender ouvre sa première usine dans deux entrepôts en tôle Santa Fe Avenue : 30 à 40 steels guitares sortent de l’atelier par semaine. La même année, sort le premier ampli Fender recouvert de la célèbre finition tweed : le Dual Professional.

Au départ de Doc Kauffman au milieu de l’année 1946, Leo rebaptise son entreprise la Fender Electric Instrument Company. Arriveront successivement George Fullerton (1923-2009) début 1948 comme contremaître, Frederick « Freddie » Tavares (1913-1990) à la conception en 1953, Donald Randall (1917-2008) à la commercialisation et en 1954 Forrest White (1920-1994) au suivi de production.

Le déclin de l’engouement pour la lap steel et le Western Swing poussent Fender à concevoir et à fabriquer une guitare standard entièrement électrique. Conscient de ne pouvoir rivaliser avec des firmes comme Gibson qui produisent des guitares électriques à caisse, Fender et son équipe se lancent sur un marché novateur et créent des modèles de guitares et de basses électriques sans caisse de résonance, à corps plein, dites solidbody.

Leo Fender n’est pas à proprement parler le père de la guitare électrique solidbody. Mais il a étudié la lap steel électrifiée, surnommée frying pan (« poêle à frire »), conçue en 1931 par Rickenbacker et considérée comme la première solidbody, ainsi que le modèle construit en 1948 par Paul A. Bigsby pour le musicien de country Merle R. Travis. Chercheur inlassable, Fender s’inspire aussi des suggestions des musiciens pour développer ses propres idées et enrichir ses connaissances en facture instrumentale. De son talent inventif, de son souci pour l’ergonomie et le design naît dans ses ateliers un premier prototype de solidbody en 1949. Un an après sort l’Esquire, puis en 1951 la Broadcaster rebaptisée la même année  Telecaster : l’une des guitares les plus réussies de tous les temps.

Fender est en revanche le premier à créer un prototype de guitare solidbody de série. Homme résolument moderne croyant à la liberté d’entreprise, il initie une nouvelle organisation de production qui s’industrialise progressivement dans les années 1950 : simplification de la lutherie de la guitare permettant l’embauche d’une main-d’œuvre peu qualifiée ; réduction des coûts du service après-vente (maintenance, réparation). En mai 1950, un nouveau bâtiment en béton est construit à côté des deux fabriques en tôle devenues insuffisantes face à une production exponentielle.

Les années 1950 et 60 sont considérées comme l’âge d’or de la production des guitares solidbody. La jeunesse américaine issue du baby-boom d’après-guerre s’émancipe. Les évènements politiques (Guerre du Viêt Nam en 1955 entre autres) provoquent l’émergence d’une contre-culture. La guitare électrique prend son envol dans ce contexte et va être adoptée « par toutes les communautés, sans distinction de territoire ou de statut social* » .

Après la sortie de la Telecaster, le succès des guitares Fender ne cesse de croître. En 1951, sort la guitare basse Precision (basse solidbody frettée, de l’inédit !) qualifiée par les spécialistes de « la contribution la plus révolutionnaire pour la musique du XX^e siècle » : la guitare et la basse peuvent égaler le niveau sonore de la batterie. Avec la Stratocaster, sortie des usines en 1954, les guitares Fender permettent aux musiciens de créer des sons nouveaux, une musique nouvelle, qui changera à jamais le cours de l’histoire de la musique populaire de la seconde moitié de XX^e siècle.

Leo Fender, bourreau de travail, continue de concevoir et d’innover : en 1958 sort la Jazzmaster, puis la Jazz Bass  en 1960, une basse à six cordes l’année suivante, la Jaguar en 1962 et la Mustang en 1964.

De 1954 à 1964, la production de l’entreprise Fender est passée de celle d’une manufacture à une production de masse à échelle industrielle : 1500 instruments sortent chaque semaine en 1964 et 600 employés y travaillent. En 1958, quatre bâtiments supplémentaires ont été construits sur South Raymond Avenue. Les ventes explosent. Les sociétés et usines Fender se multiplient : Fender-Rhodes, Fender Acoustic et Fender Sales Inc. Leo Fender modernise le design de la guitare, initie des formes futuristes , s’inspire des couleurs de l’industrie automobile. En ce sens il devient « l’un des plus grands dessinateurs industriels du XX^e siècle** ». Les marques concurrentes, en particulier Gibson, lui emboîtent le pas. C’est en jouant sur des Fender que les musiciens les plus célèbres Buddy Holly, Jimi Hendrix, Eric Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page entrent dans la légende.

Il serait injuste de n’attribuer le succès Fender qu’au seul génie de Leo. Don Randall, responsable des ventes et du marketing, a contribué largement à créer un style de guitare adapté à la jeunesse et au rêve américains. Ainsi, les noms choisis par Randall – Broadcaster, Telecaster, Stratocaster – retracent l’évolution technologique : de l’apparition de radiodiffusion à la conquête de la stratosphère.

En 1954, la sortie de la Stratocaster marque une étape décisive dans la conception de la solidbody. Elle incarne le génie inventif de Leo Fender et de ses collaborateurs qui allie modernité à pragmatisme. Des innovations musicales importantes ont été apportées. Le système de vibrato intégré permet des effets sonores inégalés, les 3 micros libèrent le musicien de réglages superflus et produisent des sons jamais encore entendus. La forme de la guitare s’adapte au corps du musicien ce qui offre un jeu plus confortable. Enfin, le soin tout particulier apporté à son esthétique, directement inspiré du désign industriel moderne (ligne pure asymétrique, sobriété du décor dans un dégradé sur deux tons noir et jaune) la hisse au rang de chef-d’œuvre. C’est le modèle de guitare électrique le plus populaire et le plus copié au monde.

Épuisé par des soucis de santé, dépassé par une production exceptionnelle qu’il ne maîtrise plus, Leo Fender décide de se retirer. Durant l’été 1964, Randall mène les négociations et le 5 janvier 1965, Columbia Broadcasting Systems (CBS) rachète les sociétés Fender pour un prix record de 13,2 millions de dollars. Leo Fender reste consultant pour CBS pendant 5 ans.

Il continue sans relâche ses travaux de recherche dans son laboratoire sur East Elm Street. Il fonde en 1972 Tri-Sonics Inc qui devient Musitek puis Music Man. Fin 1979, il fonde avec George Fullerton et Dale Hyatt la société G&L (George et Leo) et développe une nouvelle gamme de guitares et de basses. Leo y travaillera jusqu’à sa mort, le 21 mars 1991, survenue à l’âge de 81 ans. CBS a continué de produire des instruments Fender jusqu’à ce que l’entreprise soit vendue à un groupe d’investisseurs dirigé par le président de Fender, Bill Schultz, en 1985.

La Fender Musical Instrument Corporation, dont le siège est aujourd’hui à Scottdale, en Arizona, est devenue en quelques décennies une puissance internationale de premier plan dans la fabrication et le développement d’instruments de musique et Leo Fender, son créateur, est « L’homme qui a changé pour toujours la façon dont la musique est faite et entendue** ».