Jean-Féry Rebel (1666-1747)
Une famille de musiciens de cour
La famille de Jean-Féry Rebel illustre ce que furent ces dynasties de musiciens des XVIIe et XVIIIe siècles, offrant leurs services de génération en génération aux cours européennes.
Jean Rebel, le premier musicien de la dynastie, est chanteurIl est haute-contre, depuis l’âge de vingt ans environ. Son frère Robert est aussi musicien du roi. à la Chapelle lorsque naît son fils Jean-Féry. Son talent de compositeur et de « batteur de mesure » est de notoriété publique, puisqu’il est fort bien placé lors d’un concours internationalIl est parmi les 35 candidats venus de plusieurs nations, et est retenu pour le deuxième tour. alors qu’il a 48 ans, pour devenir l’un des quatre sous-maîtresCharpentier s’y inscrit aussi, mais ne peut y participer car il est malade. De Lalande, beau-frère de Jean-Féry Rebel, est l’un des quatre candidats retenus. de la Chapelle. Comme les autres musiciens et chanteurs, il est tenu durant son quartier de suivre la cour avec sa famille : de Saint-Germain au Louvre, de Fontainebleau à Versailles (dont la construction avance maintenant à grands pas), ce sont des déplacements continuels. Les enfants Rebel forment leurs oreilles durant ces années aux meilleures musiques du royaume. Jean-Thomas, le demi-frère de Jean-Féry, deviendra violonisteIl est signalé comme symphoniste de la Chambre en 1707, et musicien du prince de Monaco., tandis que sa grande sœur Anne-Renée semble conquise par les voix, notamment celles des chantres, splendides, qu’elle peut entendre quotidiennement à la Chapelle. Sa voix devient si mélodieuse et son oreille si formée dès le plus jeune âgeElle fait ses débuts sur scène aux côtés de son père à dix ans dans Cadmus et Hermione de Lully. qu’elle séduit Michel-Richard de LalandeIl devient l’un des quatre sous-maîtres de musique recrutés en 1683, puis le seul, et cumule toutes sortes de charges prestigieuses. (1657-1726), qui l’épouse. Leurs deux filles deviendront à leur tour chanteuses.
Jean-Féry transmettra ses chargesjoueur de théorbe en 1723, de compositeur de la musique de la Chambre en 1727, de surintendant de la Chambre en 1733 à son fils aîné, François Rebel, qui deviendra le plus illustre des membres de la famille : il entre à l’orchestre de l’Académie royale à treize ans, il hérite du poste de violoniste aux « Vingt-Quatre Violons du roi » à seize ans, il est nommé à la tête du Concert Spirituel en 1734, maître de musique de l’Académie royale de musique en 1739, inspecteur de l’Académie royale de musique de 1743 à 1753, et sera même anobli !
Une carrière au sommet soutenue par de hauts personnages
Jean-Féry apprend à chanter, à accompagner et à diriger essentiellement avec son père. Celui-ci est un proche du célèbre Lully depuis qu’il se produit dans bon nombre de ses œuvresIl est berger dans le Ballet des Muses de Lully en 1666, dans lequel danse également Louis XIV. Il figure en 1670 dans Le Bourgeois gentilhomme et participe aux premières tragédies en musique de Lully, comme Cadmus et Hermione en 1673.. L’amitié et la confiance qui naît entre les deux hommes amène Jean à baptiser son deuxième enfant Jean-Baptiste-Féry : on ne peut rêver meilleur parrain dans ce milieu où les rivalités font rage et où les relations peuvent faire la différence. À huit ans, Jean-Féry est déjà pourvu d’une solide technique de violon, certainement apprise au contact des musiciens de la Chapelle. Lors d’une des nombreuses répétitions auxquelles il participe devant le roi à Saint-Germain, le tout-puissant Lully est intrigué par un rouleau de partitions qui dépasse de sa poche. Il découvre que cette musique juvénile n’est autre qu’une ébauche d’opéra ! Impatient de l’entendre, il fait en sorte que l’œuvre soit jouée sur le champ. Impressionné, Lully prend dès lors l’éducation musicaleen violon et composition de Jean-Féry en charge.
Il est probable qu’il suive ensuite son père dans ses activités à Saint-Germain puis à Versailles, gagnant progressivement en notoriété, et parvenant à entrer à l’Académie royale de musique. En tant que violoniste de cette institution, il accompagne à 34 ans avec quelques collègues le voyage du futur roi d’Espagne Philippe VPetit-fils de Louis XIV, il succède à Philippe II.. Il est en outre un peu plus tard claveciniste du « petit chœur » de l’Académie, puis « batteur de mesureLe terme de « chef d’orchestre » n'existe pas encore : il bat la mesure lors des répétitions et des représentations, et s’occupe de l’intendance. » à 48 ans. Cette polyvalence est courante à l’époque : tout violoniste joue aussi en général un instrument à vent ou à percussion. Introduit certainement par son beau-frère de Lalande, Jean-Féry devient aussi « violon » de la Maison du roi, à la fois à la Chapelle et à la Chambreà 39 ans, dans les « Vingt-quatre ». Les honneurs se succédant, il y devient « batteur de mesure » puis compositeurIl partage avec Jean-François de La Porte la survivance de la charge de compositeur de de Lalande. Il obtient sa succession à sa mort en 1726, qu’il transmet peu après à son fils François. à 54 ans.
Jean-Féry bénéficie toute sa vie de protections à la cour, grâce à sa précocité et aux relations de son père au début, puis grâce à son talent. Lully, de Lalande, Louis XIV puis Louis XV lui accordent ce soutien indispensable. Mais cela ne suffit plus au XVIIIe siècle. Un nouveau public d’amateurs fortunés commence en effet à attirer les meilleurs musiciensLes musiciens du roi n’étant employés qu’une partie de l’année, ils ont la possibilité de mener une autre carrière « en ville ». Le prestige que leur confère le titre de « musicien du roi » fait affluer les élèves. dans la capitale, au moment même où Versailles est délaissé par la cour du Régent (de 1715 à 1722). Jean-Féry sait s’attirer la bienveillance de certains d’entre eux, à qui il dédie des œuvres importantes. C’est le cas de La Terpsichore pour l’épouse du banquier Law ou des Éléments pour le prince de Carignan. Quant au seul portrait que l’on connaisse de lui, dessiné par Watteau, il est probable que son exécution ait été décidée à l’hôtel particulier de Pierre Crozatgarde des Sceaux de la vicomté de Turenne, où se donnaient des « concerts italiens » et où le peintre se rendait régulièrement.
Un musicien d’avant-garde ?
Maîtrisant plusieurs instruments comme la plupart de ses collègues, Jean-Féry se distingue particulièrement comme violoniste. Il est considéré de son vivant comme l’un des meilleurs pédagogues de cet instrument, au point que Destouches André-Cardinal Destouches (1672-1749), surintendant de la musique du roi et inspecteur général de l’Académie royale de musique l’estime être « le seul homme en France, capable [de former un candidat pour un poste dans les « Vingt-quatre »] dans les grands principes de M. de Lully ». Esprit novateur, il est l’un des premiers à écrire pour le violon en France, en un temps où il y est encore fort déconsidéréLe violon fait partie des « hauts instruments » (qui sonnent fort, et sont donc peu nobles). Il passe de l'Écurie à la Chambre au XVIe siècle, ce qui traduit le début d'un changement de statut.. C’est d’ailleurs la musique instrumentale dans son ensemble que l’on méprise en France : à quoi d’autre pourrait-elle servir qu’à accompagner le chant et les danses ? Des changements profonds sont pourtant en cours en ce début du Siècle des lumières. Les concerts privés de richissimes financiers (comme Le Riche de la Pouplinière, fermier général sous Louis XV) ou de quelques aristocrates se multiplient. Le Concert Spirituelcréé en 1725 par Anne Danican Philidor, musicien de l’Écurie puis de la Chapelle royale devient l’un des meilleurs ambassadeurs de la musique instrumentale, notamment italienne. Les œuvres pour violonSes Pièces pour le violon avec la basse continue de 1705 figurent parmi les premiers exemples de littérature pour violon en France. de Jean-Féry Rebel, admirateur de la musique de Corelli, naissent dans ce contexte contradictoire. Couperin ou Charpentier font aussi partie de ces pionniers de l’écriture pour violon en France, mais Rebel les surpasse car il est le seul parmi ces compositeurs d’« avant-garde » à être violoniste. La qualité de ces œuvres préfigure celles du célèbre Jean-Marie LeclairVioloniste de Louis XV durant quelques années, il travaille ensuite à son compte et devient le violoniste le plus renommé de son époque. Son Premier livre de sonates date de 1723. (1687-1764).
En homme rompu à la vie de cour, Jean-Féry Rebel connaît parfaitement l’art de la danse, l’une des activités les plus pratiquées de la noblesse : sa maîtrise vaut autant que celle des armes, bien davantage que celle des lettres et infiniment plus que celle du violon. Louis XIV danse des menuets et branles sur scène dans les ballets de cour, puis les comédies-ballets. Dans ces contextes, la danse ne trouve sa place sur scène que prise dans un récit, si ténu soit-il.
Les habitudes peuvent cependant évoluer. Un Caprice, qu’il compose pour le violon à 45 ans, attire l’attention de plusieurs danseuses célèbres, dont Françoise Prévost, danseuse vedette de l’Académie royale durant la Régence. Rebel s’aperçoit alors que l’on peut très bien danser sans être contraint par aucun argument littéraire. L’idée se développe, et il en vient à composer une suite de danses intitulée Les Caractères de la danse en 1715, popularisée à nouveau par les danseuses en vogue, dont La Camargo : c’est la naissance de la « symphonieNe pas confondre avec la symphonie classique. Rousseau en donne une définition : s’applique à toute musique instrumentale, tant des pièces qui ne sont destinées que pour les instruments, comme les sonates et les concertos, que celles où les instruments se trouvent mêlés aux voix, comme dans nos opéras et dans plusieurs autres sortes de musiques
. » de danse. L’habitude est prise par la suite de jouer ce nouveau type d’œuvre à la fin des opéras.
Jean-Féry délaisse la plume quelques années afin de jouir pleinement de son succès. Il revient à la composition à 71 anssoit trois ans après sa dernière œuvre Les Plaisirs champêtres avec Les Éléments, « symphonie » considérée comme l’une des plus abouties du genre au XVIIIe siècle. Cette suite de danses et de morceaux de fantaisie fait évoluer les motifs musicaux de la Terre, de l’Eau, du Feu et de l’Air dans des combinaisons instrumentales changeantes et colorées. Un impressionnant prologue non dansé, Le Chaos, y est joint quelques mois plus tard. Son langage harmonique et sa conception générale ne cessent de nous surprendre aujourd’hui encore.
Seule une soixantaine d’œuvres de Jean-Féry Rebel nous sont parvenues, mais aucune de l’époque où il était compositeur de la Chambre du roi. Il lègue à la postérité une image de novateur, et l’on a tôt fait d’oublier son unique et peu originale tragédie lyrique Ulysse, composée à 37 ans. Jean-Féry Rebel se décharge progressivement de ses nombreuses responsabilités sur son fils aîné François, tout en gardant son poste parmi les « Vingt-quatre ». Il est inhumé dans la cave de la chapelle de la Sainte-Vierge de l’église St-Roch à plus de 80 ans, aux côtés du jardinier Le Nôtre, de Racine et de Thomas Corneille.
L’essentiel
- Jean-Féry Rebel appartient à l’une des nombreuses dynasties de musiciens des XVIIe et XVIIIe siècles.
- Il est remarqué à huit ans par Lully, qui prend son éducation musicale en charge.
- Sa sœur se marie avec Michel-Richard de Lalande, célèbre compositeur.
- Son père lui transmet une partie de ses fonctions, comme cela se faisait à l’époque. Son fils François héritera à son tour des siennes.
- Il sait se rapprocher d’influents personnages de la bourgeoisie parisienne, à qui il dédie ses œuvres.
- Il est l’un des principaux compositeurs pour violon de son époque, instrument jusque là très déconsidéré en France.
- Il consacre la dernière partie de sa carrière aux œuvres pour la danse et crée un nouveau genre musical, la « symphonie » de danse.
- La « symphonie » de danse Les Éléments est composée à 71 ans. Il la fait précéder d’une pièce non dansée très en avance sur les conceptions musicales de son époque : Le Chaos.
Auteur : Jean-Marie Lamour