philippe boesmans (1936-2022)
Sa vie, son œuvre
Un autodidacte tardif
Né le 17 mai 1936 à Tongeren (Tongres), en Belgique, Philippe Boesmans entre au Conservatoire royal de musique de Liège - où il obtient un premier prix de piano -, puis au Conservatoire de Bruxelles dans la classe de Stefan Askenase. Sur les conseils de celui-ci, il se détourne finalement d’une carrière de pianiste virtuose pour se consacrer à la composition qu’il aborde en quasi-autodidacte, influencé et encouragé par ses rencontres avec Pierre Froidebise, Henri Pousseur, Célestin Deliège et André Souris, et par les cours suivis à l’académie d’été de Darmstadt en Allemagne, qui l’initient à la musique sériellemusique dont les notes, les rythmes, les nuances voire les timbres sont organisés en séries qui organisent de façon rigoureuse la composition.
Philippe Boesmans participe en 1962, comme pianiste, à la naissance de l’ensemble Musiques Nouvelles, dédié à la création et à la diffusion de musiques contemporaines - à l’image du Domaine Musical créé en 1954 par Jean-Louis Barrault et Pierre Boulez à Paris - et commence à écrire quelques pièces pour cet ensemble. En 1971, il est attaché au Centre de recherches et de formations musicales de Wallonie, dirigé par Henri Pousseur, et au Studio électronique de Liège. Il devient ensuite producteur à la RTBF (Radio-Télévision Belge Francophone) puis professeur de composition aux conservatoires de Liège et de Rotterdam. Ces diverses activités expliquent un début de carrière peu prolixe et relativement tardif, sa première œuvre d’importance étant Sonances pour deux pianos, en 1963, et son officiel opus 1, Corrélations pour clarinette et deux groupes instrumentaux, en 1967. Ce n’est que dans les années 1970 que Boesmans se consacre pleinement à la composition.
Un compositeur d’opéras
Dès l’adolescence, Philippe Boesmans est « un fou d’opéra », de Wagner notamment, dont il rêve d’entendre les œuvres à Bayreuthville d’Allemagne où Wagner a fait construire un théâtre pour jouer ses opéras et où se tient tous les ans un festival qui lui est consacré. Il compose pourtant peu pour la voix dans les années 1970. C’est néanmoins au théâtre de la Monnaie de Bruxelles que le nom de Philippe Boesmans va être dorénavant associé : engagé comme conseiller musical à l’arrivée de Gérard Mortier en 1981, il y devient compositeur en résidence de 1985 à 2007. Pour la Monnaie, il écrit les Trackl-Lieder (1987), une réorchestration de l’opéra de Monteverdi Le Couronnement de Poppée (1989) - première collaboration avec le metteur en scène Luc Bondy - et plusieurs œuvres scéniques : La Passion de Gilles (1983) d’après l’histoire de Gilles de Rais, Reigen (1993) d’après Schnitzler, Wintermärchen (1999) d’après Le Conte d’hiver de Shakespeare et Julie (2005) d’après Mademoiselle Julie de Strindberg. Les trois derniers ouvrages sont composés sur un livret de Luc Bondy, avec lequel Philippe Boesmans forme un tandem que d’aucuns ont comparé à ceux formés par Mozart et Da Ponte ou Richard Strauss et Hugo von Hofmannstahl. Son opéra Yvonne, princesse de Bourgogne (2009), d’après la pièce homonyme de Witold Gombrowicz, est une comédie tragique créée à l’Opéra de Paris. Tous ses opéras sont repris après leur création de par le monde entier avec un succès constant.
Un compositeur primé
Les œuvres de Philippe Boesmans, programmées dans les principaux festivals internationaux, ont reçu de nombreux prix parmi lesquels le prix Italia pour Upon La-Mi (1969), le prix de l’Union de la presse musicale belge, le prix de l’académie Charles-Cros et le prix international du disque Koussevitzky pour l’enregistrement du Concerto pour violon et de Conversions, ainsi que le prix Charles-Cros pour le DVD de Julie en 2007. En 2000, Boesmans reçoit le prix Honegger pour l’ensemble de son œuvre et, en 2004, le prix musique de la SACD. Dernier en date : le prix France Musique Sacem 2012 pour sa musique du film Rendez-vous avec un ange d’Yves Thomas et Sophie de Daruvar.
Style et langage
Vers une musique expressive
Marqué par la musique de Webern puis celle de Messiaen, Boulez, Stockhausen et Pousseur, les premières pièces de Philippe Boesmans, datant du début des années 1960, relèvent clairement de l’esthétique sérielle, qu’il découvre grâce à Pierre Froidebise. À l’instar de compositeurs comme Bruno Maderna, Luciano Berio et surtout Henri Pousseur, Philippe Boesmans renoue avec une certaine spontanéité d’écriture et choisit de réintégrer la consonance dans le langage musical contemporain. Pour lui, ce qui n’est pas synonyme de néo-classicisme ou de retour en arrière, contrairement à ce que certains ont affirmé. Ce qu’il recherche, c’est le sens narratif de la musique et son expressivité, qu’il juge obligatoire, notamment à l’opéra où il va définitivement s’affirmer.
Cette exploitation de la consonance devient en quelque sorte la marque de fabrique du compositeur, esthétique revendiquée comme le montre le titre de l’œuvre qui le fit connaître : Upon La-Mi (1970), pour voix, cor solo, 11 instrumentistes et amplification, les notes la et mi formant l’intervalle de quinte juste à la base de la musique tonale. À cette réintégration de la consonance s’ajoutent un goût pour les mouvements conjoints et les éléments mélodiques. Une autre grande caractéristique du langage de Philippe Boesmans est le recours à une écriture reposant sur des accords, certes complexes et souvent enchaînés à une vitesse importante, mais balisant l’œuvre de repères sur lesquels l’oreille peut - momentanément - se reposer.
Un jeu subtil
Philippe Boesmans aime jouer avec l’auditeur, en proposant des résonances en « trompe-l’oreille », des cache-cache harmoniques, des clins d’œil au passé par citation (de Bach, Monteverdi, Stravinski, Richard Strauss dans Reigen par exemple). Il compose une musique d’une grande souplesse rythmique et d’une grande subtilité, fourmillant de détails quasi pointillistes, ne ménageant pas le musicien qui doit se plonger dans une partition complexe et bien souvent virtuose. À l’écoute, l’auditeur se retrouve face à des musiques d’une belle évidence, fluide, mais ne cédant jamais à certaines facilités néo-romantiques. Cela explique la réussite de Boesmans à l’opéra et dans le domaine de la voix en général : dès Attitudes, « spectacle musical pour voix et ensemble instrumental » (1979), le compositeur laisse les voix s’épanouir lyriquement tout en les amenant à explorer leurs potentialités techniques et expressives, usant de complexes et passionnants rapports texte-musique. Philippe Boesmans n’est ni moderne, ni « rétro », mais juste un compositeur qui aime « raconter une histoire ».
Auteur : Antoine Mignon
(2013)