Auteure : Aurélie Loyer
Béla Bartók (1881-1945)
La jeunesse difficile d’un enfant prodige
Béla Bartók naît en 1881 dans une petite ville de TransylvanieCette région est alors située en Hongrie, avant de rejoindre (en 1918) l’actuelle Roumanie. où son père dirige une école agricole. Ses parents sont tous deux musiciens amateurs. Son enfance est marquée par la maladie, et jusqu’à l’âge de six ans, il vit isolé des autres enfants. Très tôt, il est attiré par la musique, aidé par sa mère qui lui joue du piano et lui donne ses premiers cours à l’âge de cinq ans. Quand il intègre enfin l’école, il se révèle être un brillant élève. Malheureusement, son père meurt la même année. Pour subsister, sa mère doit enseigner le piano en plus de son métier d’institutrice. Béla, lui, poursuit brillamment son apprentissage du piano et compose dès l’âge de neuf ans. Deux ans plus tard, il joue l’une de ses pièces lors de sa première prestation : le public l’acclame. Sa famille s’installe ensuite dans une ville plus importante, Pozsony (Bratislava), située sur le Danube entre Vienne et Budapest. Bartók y étudie le piano, avec László Erkelfils de Ferenc Erkel, grand compositeur hongrois du XIXe siècle, et l’harmonie. À dix-sept ans, il est admis au Conservatoire de Vienne mais choisit finalement de poursuivre ses études à Budapest où se trouve déjà l’un de ses grands amis, Ernő Dohnányipianiste, compositeur, chef d’orchestre et pédagogue (1877-1960).
Naissance d’un fort sentiment patriotique
À l’Académie royale de musique de Budapest, ses professeursIstván Thomán pour le piano, Hans von Koessler pour la composition et Xavér Ferenc Szabó pour l’orchestration s’inscrivent dans la lignée des grands courants musicaux allemands représentés par Liszt, Brahms et Wagner. Bartók se passionne pour la virtuosité des œuvres pour piano de Liszt et étudie l’orchestration wagnérienne. Mais ce jeune hongrois s’interroge profondément sur le poids de l’héritage allemand. Bien plus encore, il ressent la fusion de la Hongrie et de l’Autriche comme une oppression germanique. Bientôt, il ne répond plus qu’en hongrois à quiconque lui parle allemand. Mais comment composer une musique hongroise, comment dépasser les clichés de la musique tzigane ou les quelques colorations et rythmes typiques présents dans certaines œuvres de Liszt ou de Brahms ?
Pianiste, compositeur et ethnomusicologue
Ce questionnement accompagne sa carrière, qu’il partage entre le piano et la composition. Son talent est doublé d’une curiosité et d’une rigueur scientifique qu’il applique à des recherches approfondies sur la véritable musique populaire hongroise. Alors qu’il n’a pas encore vingt-cinq ans, il se rapproche de Zoltán Kodálycompositeur, ethnologue et pédagogue hongrois (1882-1967), jeune compositeur et linguiste avec lequel il partage la même quête de savoir. Ensemble, ils recueillent à travers le pays des chants traditionnels qu’ils analysent, classent et publient à partir de 1906. Parallèlement, Bartók continue à se produire en concert mais joue essentiellement ses propres compositions. En 1907, il succède à son professeur de piano au Conservatoire de Budapest. Excellent pédagogue, il se refuse toutefois à enseigner la compositionIl estime, comme Debussy, que « ça ne s’apprend pas ».. Les recherches menées avec Kodály forment le répertoire de toute une méthode d’apprentissage de la musique, appliquée dans les écoles de Hongrie. Bartók contribue également à faire découvrir la richesse de la musique populaire aux jeunes pianistes à travers un recueil qui leur est destiné, Mikrokosmos.
Sa musique
D’abord inspiré par Brahms et Liszt, exalté quelques années plus tard par la découverte des œuvres de Richard Strauss, attiré ensuite par les sonorités impressionnistes de Debussy, Bartók doit allier son besoin de tout comprendre et de tout maîtriser, à une soif incessante de renouveau. Passionné par la structure des œuvres, il conçoit sa musique en véritable architecte, privilégiant souvent la symétrie des formes. La musique est le seul langage qui permet à ce personnage secret au caractère d’acier d’extérioriser sa formidable énergie. Bartók aime mettre en avant les percussions et exploite d’ailleurs le potentiel percussif des autres instruments. Il fait par exemple jouer au piano des clustersgroupes de notes frappées simultanément avec la main à plat, le poing ou l’avant-bras dans les registres extrêmes, ou, aux cordes des pizzicatos percutantsLe pizzicato est une technique de jeu qui consiste à pincer la corde avec les doigts. Dans le cas du pizz Bartók, il faut soulever la corde verticalement pour qu’elle vienne frapper la touche de l’instrument.. La puissance qui se dégage de son écriture vient également des rythmes asymétriques puisés dans la musique traditionnelle. Bartók s’attache en effet à intégrer à son langage ses recherches d’ethnomusicologue, qui lui procurent la matière première pour une musique savante véritablement hongroise.
Voyages et exil
Beaucoup d’œuvres de Bartók sont jouées hors de son pays avant que le monde musical de Budapest ne découvre leur valeur. Sa notoriété s’étend plus lentement que celle de certains de ses contemporains, tels Stravinski ou Prokofiev, mais à partir des années 1920, ses œuvres sont de plus en plus souvent à l’affiche dans les grandes capitales occidentales. Il fait de longues tournées à travers l’Europe, les États-Unis et la Russie, souvent accompagné de son épouse Ditta Pásztory, une talentueuse pianiste. Ses recherches sur les chants populaires l’amènent aussi au-delà des frontières de son pays, en Slovaquie, en Roumanie, en Turquie et jusqu’au Caire où il étudie les mélodies arabes. Son angoisse face à la montée du nazisme et à l’horreur de la guerre le pousse à l’exil. Malgré son profond attachement à la Hongrie, il va s’établir avec Ditta aux États-Unis en 1940 mais il supporte difficilement l’exil. Ces années sont marquées par l’infortune et la maladie. Il continue pourtant à composer et poursuit son travail d’ethnomusicologue jusqu’à ses derniers jours. Victime d’une leucémie, il meurt à New York le 26 septembre 1945.
L’essentiel
- Pianiste virtuose, compositeur et ethnomusicologue, Béla Bartók (1881-1945) mène une véritable quête pour apporter à son langage et à la musique de son pays une identité hongroise puisée aux racines de son folklore.
- Travailleur insatiable, il mène tout au long de sa vie une triple carrière et se produit au cours de nombreuses tournées à travers l’Europe, la Russie et les États-Unis.
- Continuellement nourri des musiques populaires qu’il récolte et classe avec Kodály, il recrée dans sa musique un véritable « folklore imaginaire ». Pour le piano, il crée un style de jeu nouveau en exploitant ses aspects percussifs.
- Il atteint le sommet de son art avec des œuvres comme Le Château de Barbe-Bleue (1911), Le Mandarin merveilleux (1918-19) ou sa Musique pour cordes, percussions et célesta (1936).