Gustav Mahler (1860-1911)
Sa volonté était inflexible mais il avait le cœur tendre. [...] Bien qu’il s’arrangeât pour ne pas faire de concessions sur le plan artistique, sur le plan humain il en faisait. L’homme en lui était doux comme le beurre, l’artiste inflexible dans la poursuite de son idéal.
Ce témoignage de Guido Adlercité dans Werck p. 66, grand ami de Mahler, décrit parfaitement la personnalité contrastée du compositeur : chef d’orchestre intransigeant entièrement engagé au service de l’artLe critique Ernst Decsey dira : Mahler souffrait d’une maladie incurable. Elle s’appelait : idéalisme.
(cité dans Bauer-Lechner p. 295), il était aussi profondément humain, soucieux des autres et d’une grande générosité envers ses proches.
Enfance et premières impressions musicales (1860-1875)
Gustav Mahler est né le 7 juillet 1860 à Kaliště, un petit village de Bohême. Il est le deuxième d’une fratrie de quatorze enfants, dont seulement six atteindront l’âge adulte. Espérant améliorer sa situation sociale, son père emmène dès l’automne 1860 sa famille à Iglau, une ville essentiellement germanophone, afin d’y installer sa distillerie de liqueurs. C’est là que le petit Gustav va grandir, au sein d’une famille juive issue de la petite bourgeoisie, dans un foyer à l’atmosphère tendue, partagé entre la brutalité d’un père et la douceur d’une mère. Pour échapper à la dure réalité du monde qui l’entoure, il s’évade dans de profondes rêveries, une habitude qui ne le quittera jamaisSon amie Natalie Bauer-Lechner raconte : Il oubliait très facilement les choses et il était distrait (parce qu’il était plongé en lui-même et absorbé) ; autrefois cette distraction était encore plus grande, au point qu’il lui arrivait les choses les plus bizarres. L’anecdote la meilleure à cet égard s’est passée en société quand il était jeune homme : dans son étourderie il a remué son café noir avec sa cigarette au lieu de la cuillère, et, pensant qu’il avait de la fumée dans la bouche, il a soufflé le café par-dessus la table au visage de la maîtresse de maison. On connaît d’innombrables histoires de ce genre à son sujet. Son camarade de conservatoire Winkler m’a raconté un jour que Mahler était si plongé dans ses pensées après une répétition de sa sonate pour violon et piano au Musikverein – c’était en hiver – qu’il en est sorti précipitamment en oubliant son manteau, sa canne et son chapeau ; en plus, il a perdu la moitié de ses partitions sur le Ring ; heureusement ses collègues qui le suivaient les ont trouvées, et les lui ont rapportées avec ses vêtements.
(cité dans Bauer-Lechner p. 107). Il trouve du réconfort dans la musique, s’imprégnant de toutes les sonorités qui l’entourent : chansons de sa nourrice, musiciens itinérants, chants et danses populaires de fêtes, mais aussi sonneries et fanfares provenant de la caserne militaire près de chez lui. Très tôt, sa famille prend conscience de ses dons musicaux et lui offre ses premières leçons de musique ; il s’y plonge avec passionOn ne parvenait pas à me faire quitter le piano, même pour manger, et l’on envoyait tour à tour pour m’appeler mes sœurs, mes frères, puis ma mère. Seule la canne de mon père arrivait en général à me faire obéir. À peine avais-je déposé ma cuiller que je me précipitais de nouveau sur le piano pour y demeurer jusqu’au soir.
(cité dans La Grange vol. 1 p. 35). Il chante également dans la chorale de l’église où il découvre le répertoire sacré catholique, se forgeant ainsi une culture musicale mêlant folklore tchèque et tradition classique, musique populaire et musique savante, qui nourrira constamment ses œuvres. La musique ne parviendra malheureusement pas à apaiser le premier deuil douloureux qui survient en 1875 lorsqu’il perd son frère chéri ErnstErnst était l’un de ses auditeurs les plus fidèles : Ainsi s’établit-il, entre Gustav et Ernst, celui des frères qui est le plus proche de lui d’âge comme de cœur, une charmante habitude en vertu de quoi celui-ci était toute la journée “à son service”, lui apportant ce dont il avait besoin, nettoyant ses souliers et ses vêtements, et cela sans un murmure, car Gustav lui jouait plus tard du piano pour le récompenser.
(Natalie Bauer-Lechner, propos cités dans La Grange vol. 1 p. 36) Mahler restera au chevet de Ernst pendant toute sa maladie, essayant tant bien que mal de le distraire., son cadet d’un an. Les deuils successifs marqueront profondément le jeune garçon qui, plus tard, invitera régulièrement le thème de la mort dans ses compositions.
Premières compositions et débuts dans la direction d’orchestre (1875-1886)
En 1875, Mahler entre au conservatoire de Vienne. Il suit des cours de piano et d’harmonie, se passionne pour Mozart et Schubert, rencontre de jeunes musiciens (dont Hugo Wolf) avec lesquels il partage une admiration sans borne pour WagnerLorsqu’il m’arrive d’être mal disposé et que je désespère de moi-même et du monde, si je pense à Wagner, je retrouve aussitôt ma bonne humeur en songeant à cette lumière qui a pénétré le monde ! Quel esprit de feu, quel révolutionnaire, quel réformateur de l’art, sans égal sur la terre !
(Mahler cité dans La Grange vol. 1 p. 423), ainsi qu’Anton Bruckner, alors professeur au conservatoire. C’est là qu’il commence ses premières œuvres, toutes inachevées (Quatuor avec piano). Il quitte le conservatoire à 18 ans, auréolé de premiers prix de piano et de composition, et vit de leçons de piano et d’accompagnements pendant deux ans tout en poursuivant ses essais d’écriture (Das klagende Lied), essentiellement orientés vers le liedLe lied romantique est un chant en langue allemande, dont les textes sont principalement issus de la poésie. D’abord accompagné par le piano seul, lorsqu’il naît sous la plume des compositeurs au début du XIXe siècle (Schubert, Schumann...), il peut aussi être écrit pour voix et orchestre comme le fera Mahler par la suite. et la musique symphonique.
C’est pourtant dans le milieu de l’opéra qu’il poursuit son chemin. En effet, en 1880, il fait ses premières armes dans la direction d’orchestre à Hall où il est en charge des représentations d’opérettes. Viendront ensuite des engagements à Laibach, Olmütz, Kassel. Le jeune homme y montre déjà une exigence artistique implacable et une tendance pour les conflits avec sa hiérarchie qui seront constantes chez lui. Intransigeant et autoritaire envers les musiciens qui, dans une attitude mêlée de crainte et de respect, doivent supporter son autorité despotiqueSes petits yeux bruns étaient incroyablement vivants et ardents, et je crois volontiers que quelque pauvre diable d’instrumentiste ou de chanteur doit penser défaillir quand il est frappé par le regard de Mahler, que ni les lunettes ni le pince-nez, dûs à sa myopie, ne pouvaient affaiblir.
(propos de Natalie Bauer-Lechner extrait de Bauer-Lechner p. 109), son zèle est quelque peu moquéOn lui reproche une agitation excessive au pupitre, ce qui lui vaudra de nombreuses caricatures. mais son énergie paie et le jeune chef est rapidement remarqué par la presse. Bien qu’il se plaigne des contraintes inhérentes à la vie des théâtres, Mahler acquiert au cours de ces contrats une grande expérience de la direction et surtout une grande connaissance du répertoire dramatique. Il n’abandonne pas pour autant l’écriture et compose les Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d’un compagnon errant) qu’il orchestrera quelques années plus tard, marquant ses débuts dans le lied avec orchestre.
Fâché avec sa hiérarchie, il quitte Kassel en 1885 pour Prague où il est nommé chef au Théâtre Allemand. Il y dirige Mozart et (enfin !) Wagner, assurant les créations des deux premiers volets du Ring. Les critiques sont unanimes : Mahler commence à être reconnu comme un grand chef d’orchestre. De plus, certains de ses lieder, donnés pour la première fois en concert, reçoivent un accueil plutôt favorable.
Leipzig (1886-1888)
Malgré l’expérience positive de Prague, Mahler rejoint Leipzig en 1886 afin d’honorer un contrat signé l’année précédente. Cette fois, l’orchestre est conséquent et les chanteurs sont des professionnels à la carrière internationale. Mais ses interprétations divisent la critique : si on loue sa direction énergique et habile, on lui reproche régulièrement ses manquements à la tradition, notamment dans le choix de ses temposÀ propos d’une représentation de Tannhäuser de Wagner, on peut lire dans la Leipziger Zeitung : Cette représentation était, sous certains rapports, contestable, à cause des tempi choisis par le Kapellmeister Mahler, qui s’est imposé ici comme un chef énergique et qui a su affirmer aussitôt son indépendance.
(cité dans La Grange vol. 1 p. 235).
Dans la ville allemande, Mahler rencontre le couple Weber : le capitaine Karl von Weber, petit-fils du compositeur Carl Maria von Weber, et son épouse Marion Mathildeavec laquelle il entretiendra une relation amoureuse mais sans avenir. Chez ce couple d’amis, il découvre l’anthologie poétique d’Arnim et Brentano, Des Knaben Wunderhorn (Le Cor merveilleux de l’enfant), de laquelle il tirera une grande partie des textes de ses futurs lieder. C’est aussi à Leipzig que Mahler rencontre Richard Strauss, chef d’orchestre comme lui et dont les compositions commencent déjà à rencontrer un certain succès. Tout au long de leur carrière, les deux hommes vont se respecter mutuellementLes deux hommes correspondent abondamment mais leurs relations restent complexes et essentiellement professionnelles. L’attitude de Mahler envers son collègue est souvent ambiguë : même s’il ne le considère pas comme un rival, les succès de Strauss en tant que compositeur le renvoient parfois à ses propres échecs. et faire jouer leurs œuvres respectives.
Est-ce cette rencontre avec Strauss qui le stimule ? Toujours est-il que Mahler trouve l’inspiration et se lance à corps perduVoilà ! Mon œuvre est terminée ! [...] Cela était devenu trop puissant, il fallait que cela sorte de moi, en jaillissant, comme un torrent de montagne ! [...] Il faut que je sorte et que je respire de nouveau l’air à pleins poumons. Depuis six semaines, je n’ai presque pas quitté ma table de travail !
(lettre à Fritz Löhr datant de mars 1888, citée dans La Grange vol. 1 p. 271) dans l’écriture de sa Symphonie n° 1, qu’il envisage d’abord comme un poème symphonique intitulé Titan.
Budapest (1888-1891)
Suite à une nouvelle brouille et à l’hostilité croissante des musiciens de l’orchestre, Mahler démissionne de Leipzig en 1888. Sa renommée grandissante lui permet de trouver rapidement un poste très haut placé : celui de directeur à l’Opéra royal de Budapest ! Cette tâche l’enthousiasme et l’effraie à la fois car il devra assumer des responsabilités artistiques mais aussi administrativesLa situation que l’on m’offre ici est si importante que j’en suis encore stupéfait ! Elle l’est tellement que c’en est angoissant. Il me faut donc réfléchir sérieusement avant d’accepter. Je serai directeur de l’Opéra royal avec des pouvoirs absoluments illimités, seigneur et maître d’une institution aussi importante que l’Opéra de Vienne, et en même temps premier chef d’orchestre !
(lettre à ses parents datant de septembre 1888, citée dans La Grange vol. 1 p. 283). Sa jeunesse (il n’a alors que 28 ans) et son origine autrichienne font qu’il n’est pas bien accueilli dans un premier temps au sein de cette ville très nationaliste. Mais Mahler est patient et diplomate. Il annonce vouloir créer un opéra national et donne les deux premiers volets du Ring de Wagner en hongrois : c’est un triomphe. Une fois encore, la presse souligne les qualités de direction de Mahler grâce auxquelles il parvient à remonter l’Opéra de Budapest à un niveau prestigieux. Fort de sa position, il commence ainsi à réaliser son ambition artistique, à savoir l’uniondans la lignée du Gesamtkunstwerk de Wagner du drame et de la musique. À cette époque, il renoue également avec une ancienne camarade du conservatoire, l’altiste Natalie Bauer-Lechner, qui se fera « chroniqueuse »Son journal, Mahleriana, est une source précieuse d’informations et d’anecdotes sur le compositeur. Si Natalie espère secrètement devenir plus qu’une amie pour Mahler, celui-ci ne la considérera cependant jamais autrement. de la vie de Mahler entre 1890 et 1901.
Malgré les succès professionnels, des deuils successifs et éprouvants vont assombrir la vie de Mahler en 1889 : son père, sa mère ainsi que sa jeune sœur Léopoldine décèdent à quelques mois d'intervalle. Mahler se retrouve brusquement chef de famille et doit subvenir aux besoins de ses frères et sœurs. Sans compter que la situation à l’Opéra se fait, une fois encore, de plus en plus tendue : le chef ne supporte plus la médiocrité des chanteursdes chanteurs locaux, à la différence de Leipzig, qui se révoltent contre l’autorité de Mahler en se faisant parfois porter pâle au dernier moment, doit subir les économies qu’on lui impose et endurer l’atmosphère nationaliste, si bien qu’il finit à nouveau par démissionner. Pour couronner le tout, la création de sa Symphonie n° 1 est un échec cuisantOn peut lire dans le Neues Pester Journal : du fait du titre, Poème symphonique, et des penchants déclarés de notre génial directeur pour le néo-romantisme le plus avancé, nous pouvions nous attendre à des extravagances de toutes sortes. Mais nous étions en droit d’espérer quelque chose d’intéressant et de significatif au sein de cette tendance. Nous avons découvert au contraire une musique qui, à part quelques bizarreries mélodiques, harmoniques et instrumentales, ne s’élève jamais, dans ses meilleurs moments, au-dessus du niveau le plus moyen.
(cité dans La Grange vol. 1 p. 309)…
Hambourg (1891-1897)
Nommé chef à Hambourg en 1891, Mahler assume moins de responsabilités que dans son précédent poste mais dispose de moyens importants et de chanteurs reconnus dans le monde entier. Il doit cependant composer avec le directeur, Pollini, qui impose au jeune chef un nombre éreintant de représentations dans l’unique but de remplir les caisses de l’Opéra.
Mahler arrive néanmoins à séduire les critiques qui, dès ses premiers concerts, ne tarissent pas d’éloges sur la nouvelle recrue, notamment Hans von BülowHambourg vient d’acquérir un chef d’orchestre d’opéra de premier ordre, Gustav Mahler [...] qui, à mon avis, est l’égal des plus grands [...]. J’ai entendu récemment Siegfried sous sa direction [...] et j’ai profondément admiré la manière dont il a obligé cette racaille à danser en mesure sans une seule répétition d’orchestre. Malgré ma grande nervosité et malgré quelques autres ennuis, je suis parvenu à rester jusqu’à la dernière mesure.
(lettre à sa fille Daniela datant du 24 avril 1891, citée dans La Grange, vol. 1 p. 351) pourtant réputé pour sa sévérité. De plus, l’arrivée d’un tout jeune chef assistant en 1894 va le soulager dans son travail : Bruno Walter, alors âgé de 18 ans et grand admirateur du chef et du compositeur, sera l’un des plus fervents défenseurs de sa musique. Les deux musiciens nouent d’emblée une amitié inaltérable qui durera jusqu’à la mort de Mahler.
Faisant fi de l’accueil mitigé reçu par sa Symphonie n° 1 et de l’incompréhensionEn octobre 1891, Mahler écrit à Richard Strauss : Quant à mes partitions, cher ami, je suis sur le point de les ranger définitivement dans mon bureau. Vous n’imaginez pas les déconvenues que j’essuie sans cesse ! Je n’en peux plus, à la longue, de voir ces messieurs tomber de leur chaise et m’expliquer qu’il faudrait une audace incroyable pour les exécuter ! J’en ai assez de ces éternelles démarches de voyageur de commerce. Il y a une semaine, Bülow a failli rendre l’âme pendant que je lui jouais une de mes œuvres.
(cité dans La Grange vol. 1 p. 370) à laquelle il se heurte sans cesse, Mahler profite des longues vacances d’été dont il dispose pour poursuivre son travail de composition. Il part en villégiature à la campagne afin d’y trouver la paix et le calme nécessaires à l’écriture. C’est là qu’il achève son cycle de lieder Des Knaben Wunderhorn et compose sa Symphonie n° 2 et sa Symphonie n° 3, des œuvres de plus en plus monumentales (aussi bien en matière de durée que d’effectif instrumental) et dans lesquelles il introduit la voix. La Symphonie n° 2 est donnée en concert aux frais du compositeur à Berlin en décembre 1895 : enfin, c’est un succès public et critique.
La même année, la soprano Anna von Mildenburg est engagée à l’Opéra de Hambourg. Pressentant le talent de la jeune femme, Mahler la fait travailler de façon minutieuseSon travail avec Mildenburg révèle l’exigence artistique de Mahler envers ses chanteurs. Il raconte un jour à Natalie : Pensez-vous vraiment que Mildenburg, par exemple, qui est aujourd’hui la plus grande tragédienne, la plus classique, l’était au départ ? Avec une minutie presque égale à celle que j’ai déployée pour lui apprendre ses rôles du point de vue musical, je lui ai fait également étudier chaque geste et chaque expression devant un miroir. Pour que son maintien sur la scène soit calme et contrôlé, je la forçais à marcher dans la rue, sans parapluie ni manchon, sans rien dans les mains, bien droite, et d’un pas égal, et aussi à faire de la gymnastique le matin et le soir. Aussi longtemps qu’elle ne savait pas par cœur ses rôles, je faisais mettre un piano sur la scène et je lui montrais exactement chacun des pas, des attitudes et des mouvements qu’elle devait faire, en étroite corrélation avec le chant. J’ai répété ainsi avec elle tous les rôles wagnériens depuis A jusqu’à Z. [...] Voilà avec quel soin méticuleux cette artiste exceptionnelle a été formée !
(cité dans La Grange vol. 1 p. 520) et finit par entamer une liaison avec elle, relation aussi passionnée qu’orageuse qui prendra fin en 1897.
En février 1895, le suicide de son frère Otto est un coup dur supplémentaire pour le compositeur qui a déjà enduré de nombreux deuils.
Vienne (1897-1907)
Ne supportant plus le travail avec Pollini et déplorant le départ de Bruno Walter, son unique soutien, Mahler engage discrètement des négociations avec Vienne afin de se faire nommer à la Hofoper. Conscient que sa judéité entrave sa carrièreÀ sa nomination, il doit faire face à l’hostilité de la presse viennoise antisémite, particulièrement violente. Ainsi, la Deutsche Zeitung du 10 avril 1897 parle de l’enjuivement effrayant de l’art à Vienne
, tandis que le Reichspost du 14 avril déclare : Dans notre numéro du 10 avril, nous avons publié une note sur la personnalité de l’Opernkapellmeister Mahler, qui vient d’être engagé. Dès lors, nous avions vaguement soupçonné l’origine [raciale] de l’homme que l’on honorait ainsi et c’est pourquoi nous nous sommes gardés de publier autre chose que les simples faits concernant ce juif de pure race. Que l’on chante ses louanges dans la presse de Budapest confirme nos soupçons. Nous maintenons totalement ce jugement trop rapide. La presse juive pourra, elle, se rendre compte si les fleurs et les rubans dont elle comble en ce moment son idole, ne vont pas fondre sous la pluie de la vérité, aussitôt que Herr Mahler aura baragouiné en jargon juif au pupitre de la Hofoper.
(cité dans La Grange vol. 1 p. 624), il se fait baptiser le 23 février 1897 et, grâce à l’appui de certaines personnalités, parvient à se faire nommer chef d’orchestre puis directeur quelques mois plus tard, poste auquel il restera durant dix ans.
Les premières années l’absorbant totalement, Mahler laisse un temps de côté la composition et amorce de nombreuses réformes à l’Opéra, qui sont perçues comme une petite révolution au sein de cette institution traditionaliste : il se bat pour l’augmentation des salaires, supprime la claqueÀ l’origine, les « claqueurs » sont des personnes réparties dans la salle du théâtre et engagées pour applaudir à certains passages de la pièce ou de l’opéra. À l’époque de Mahler, les chanteurs faisaient de plus en plus le frais de chantage de la part de la claque : ils étaient régulièrement tenus de payer une taxe s’ils ne voulaient pas se faire huer pendant le concert., interdit l’entrée du public après le début du concert, fait abaisser la fosse d’orchestreà l’image de la salle de concert à Bayreuth, conçue par Wagner pour l’exécution de ses œuvres. Cela permet d’atténuer le son de l’orchestre au profit des chanteurs, et d’atténuer aux yeux du public les lumières des lampes des musiciens.... Du point de vue artistique, il est toujours aussi intransigeant ce qui lui vaut rapidement, une fois encore, une réputation de tyran : pour chaque représentation, il fait répéter deux distributionsafin de pallier toute défection de dernière minute et fait travailler les chanteurs sur l’expression musicale ainsi que le jeu et l’attitude sur scène. Se tuant à la tâche, il prend en main tous les paramètres des représentations (musique, mise en scène, décors…) et offre ainsi à l’Opéra de Vienne ses plus glorieuses annéesLe compositeur Franz Schmidt, alors violoncelliste dans l’orchestre, raconte : il a fait irruption dans la Hofoper comme un véritable cataclysme. Un tremblement de terre, d’une intensité et d’une portée incommensurable, a ébranlé de fond en comble l’édifice entier. Tout ce qui était vieux, toutes les survivances qui n’étaient plus viables, a été voué à disparaître et à périr. Alors a commencé la plus grandiose époque musicale que notre capitale ait jamais connue. Depuis son fauteuil, Mahler régnait sur toute la Vienne musicale, et cela sans aucune limite. Avec son énergie inépuisable, et sa hardiesse à nulle autre pareille, il a réussi en un temps record à tout régénérer depuis la base, non seulement les artistes mais aussi le public viennois.
(cité dans La Grange vol. 1 p. 652), quoi qu’en disent les critiques calomnieuses de la presse antisémite.
Sa nouvelle maison à Maiernigg lui offre un refuge estival pour la composition, même si ses œuvres ne rencontrent toujours pas le succès escompté : la Symphonie n° 2 fait sensation à Munich mais, à Vienne, la pressecité dans La Grange vol. 1 p. 775 accuse Mahler de tirer des moineaux avec des boulets de canon
. Quant à la Symphonie n° 1, son humour grinçant n’est pas du goût d’Eduard Hanslick qui s’exclamecité dans La Grange, vol. 2 p. 37 : L’un de nous deux doit être fou, et ce n’est pas moi !
En février 1901, Mahler doit être opéré d’urgence suite à une grave hémorragie. Confronté à la fragilité de son existence, il connaît alors une explosion créatrice et opère un changement de style dans ses compositions : ses œuvres se font moins naïves, plus sombres et âpres, à l’image de la marche funèbre qui introduit la Symphonie n° 5 ou encore la Symphonie n° 6, sous-titrée « Tragique ». Ses nouveaux cycles de lieder, sur des textes de Rückert, sont plus sévères également, en particulier les Kindertotenlieder (Chants pour les enfants morts) dont il diracité dans Werck p. 85 : J’ai de la peine pour le monde qui un jour devra les entendre, tant leur contenu est terriblement triste
. L’arrivée de Bruno Walter en septembre, venu le seconder, lui apporte au moins un peu de soutien dans son travail à l’Opéra.
C’est alors que le compositeur rencontre Alma Schindler à l’occasion d’un dîner mondain : il tombe aussitôt amoureux. Âgée de seulement 22 ans, remarquable de beauté, dotée d’un tempérament de feu et excellente musicienne (même compositrice), la jeune femme se laisse fasciner par l’aura mystérieuse du compositeur, de 20 ans son aîné, et par sa prestigieuse situation. Elle accepte de l’épouser, bien qu’avouant détesterMaintenant, il me parle sans cesse d’encourager son art. Cela, je ne le puis. [...] Gustav est si pauvre, si misérable ! S’il savait à quel point il est pauvre, il se cacherait les yeux et il aurait honte !
(journal du 16 janvier 1902, cité dans La Grange vol. 2 p. 209) sa musique ! Malheureusement, Alma se sentira vite étouffer dans ce mariage, obligée de tirer un trait sur les salons et mondanités qu’elle affectionne mais que son époux fuit comme la peste, trop souvent délaissée par Mahler qui se consacre presque exclusivement à sa carrière et attend d’elle qu’elle en fasse autantPeu avant leur mariage, Mahler impose comme condition à Alma de renoncer à la composition et de se consacrer entièrement à lui : Tu dois savoir ce que je désire, ce que j’attends de toi et ce que je puis t’offrir, ce que tu dois être pour moi. Tu dois “renoncer” (comme tu me l’as écrit) à tout ce qui est superficiel, à toute convention, à toute vanité et à tout aveuglement [...] Tu dois te donner à moi sans conditions, tu dois soumettre ta vie future, dans tous ses détails, à mes besoins et ne rien désirer que mon amour !
(lettre du 19 décembre 1901 citée dans La Grange vol. 2 p. 192). Deux filles naîtront néanmoins de leur union : Maria (1902) et Anna (1904). À cause de l’attitude provocante de sa femme, Mahler va se brouiller avec beaucoup de ses proches après son mariage. Mais au contact d’Alma, qui a toujours évolué au sein de l’avant-garde viennoise, il va aussi côtoyer un tout nouveau monde d’artistes et d’intellectuels tels que les peintres Gustav Klimt et Alfred Roller (avec lequel il poursuit son rêve d’art totalLeur première collaboration se fait en 1903 avec Tristan et Iseult de Wagner dans lequel Roller réalise les décors. à l’opéra), les compositeurs Arnold Schönberg et Anton Webern.
Le succès de sa Symphonie n° 3 à Crefeld en 1902 semble marquer un nouveau tournant dans sa carrière de compositeur. Mais les Symphonies n° 5 et 6 sont la cible d’attaques virulentesÀ propos de la Symphone n° 5, on peut lire : La plupart de ceux qui ont applaudi sans discernement la Symphonie de Mahler n’en ont jamais entendu aucune autre auparavant. Or, elle ne contient pas un seul thème original ou significatif. Mahler ne cherche qu’à surprendre ou qu’à aveugler l’auditeur à l’aide de nouvelles sonorités, tantôt intimes et tantôt rutilantes.
(cité dans La Grange vol. 2 p. 739.). À propos de la Symphonie n° 6, on parle de chant suprême de l’impuissance musicale
(ib. p. 972), d’expériences sonores gratuites, de glapissements, de barbaries, de monstruosités et d’excès, avec des laideurs abominables et des hennissements stridents
(ib. p. 979), ou encore de point final de la décadence actuelle de l’art et de la culture
et de paroxysme suprême d’un terrible combat intérieur, aboutissant à désespérer de soi-même
. (ib. p. 999) de la part de la presse viennoise à tel point que Mahler commence à désespérer de se voir un jour compris du public et reconnu comme grand compositeur. Sans compter que ses absences répétées à l’Opéra de Vienne pour diriger ses propres œuvres à l’étranger se font de plus en plus remarquer et suscitent de nombreux commentaires.
New York et les dernières années (1907-1911)
Face aux critiquesOn peut lire dans un article écrit par Hans Liebstöckl datant du 17 janvier 1907 : En cette dixième année du régime de Mahler, la Hofoper est aujourd’hui désagrégée et détruite. Désormais, elle vit de deux ou trois bonnes soirées. A côté de cela, toute une série de représentations médiocres, délabrées, routinières, qui, entre-temps, provoquent la colère du public. Les causes sont tout à fait apparentes. Mahler n’a pas les qualités requises pour un patron. Il lui manque l’affabilité, le calme, l’objectivité, la claire évaluation des talents, une attention constante à chacun des départements de l’institution. Le compositeur a chassé le directeur. A cause de ces monstres gigantesques qu’il porte dans son cœur et nous fait entendre chaque année, il traite la Hofoper uniquement comme une vache qui lui fournit son beurre. Et le système se venge. Dans les recettes, dans la réputation, dans la décomposition intérieure.
(cité dans La Grange vol. 2 p. 1032). Cet article est sans doute exagéré mais reflète la violence de la critique à laquelle doit faire face Mahler.) qui se multiplient sur ses absences et sa gestion de l’Opéra, et devant l’hostilité de nombreux musiciens de l’orchestre, Mahler profite d’une offre faite par le Metropolitan Opera de New York pour démissionner de son poste à Vienne. L’année 1907 sera ainsi fébrile sur le plan professionnel, mais aussi dramatique sur le plan personnel : le 12 juillet, sa fille aînée Maria décède à seulement quatre ans de la scarlatine. Au même moment, on lui décèle une faiblesse cardiaque : lui qui est un grand sportif et qui s’épuise au travail doit désormais ménager ses efforts. C’est dans ce moment douloureux qu’il découvre Die Chinesische Flöte, un recueil de poèmes chinois qui va lui inspirer l’une de ses plus belles partitions, Das Lied von der Erde, fusion consommée du lied et de la symphonie mais qu’il n’entendra jamais jouée en concert. Car l’ombre de la mort planeSur la transformation de Mahler suite à ces épisodes, Bruno Walter témoigne : Ce qui me frappa ce fut la transformation de ses pensées et de sa psychologie. Le mystère de la mort avait toujours été présent à son esprit, mais, désormais, il était littéralement sous ses yeux. Sur l’univers de Mahler, sur sa vie même planait désormais l’ombre sinistre et toute proche. Le ton de notre conversation resta du début à la fin dénué de sentimentalité et singulièrement “réaliste”. Pourtant, derrière tout cela, je pouvais discerner l’obscurité qui s’était abattue sur tout son être.
(cité dans La Grange vol. 3 p. 112) déjà sur le compositeur, accablé par les épreuves de la vie…
Après un départ très émouvantL’écrivain Paul Stefan, présent ce jour-là, raconte : Quiconque a assisté à l’accueil de tous ceux qui étaient venus les uns après les autres (et ils étaient près de deux cents), quiconque a vu avec quel plaisir et quelle amitié lui, habituellement si peu loquace, a trouvé quelques mots amicaux pour chacun de ses fidèles, devait être heureux de cette dernière joie ainsi accordée, à lui autant qu’à ceux qui l’aimait. [...] Il n’y avait en chacun [de nous] que le désir impérieux de le revoir encore une fois, cet homme à qui nous devions tant… Le train s’est ébranlé et Gustav Klimt a exprimé ce que tous ressentaient avec angoisse et depuis longtemps : “C’est fini!”.
(cité dans La Grange vol. 3 p. 175) de Vienne, Mahler reçoit à New York un accueil chaleureux qui lui apporte un peu de réconfort. Le succès qu’il remporte auprès des musiciens et de la critique est unanime. Pourtant, il ne reste que deux ans au Metropolitan (en partie à cause d’un jeune chef italien ambitieux, Arturo Toscanini) et préfère prendre la direction de l’Orchestre Philharmonique de New York, avec lequel il donnera certaines de ses propres œuvres.
Le 12 septembre 1910, l’immense succès de sa Symphonie n° 8 à Munich est le plus grand triomphe de Mahler en tant que compositeur, qui va malheureusement disparaître quelques mois plus tard.
En effet, depuis quelques temps, des angines récurrentes affaiblissent peu à peu le compositeur. Il contracte bientôt une infection du cœur qui prend rapidement des proportions plus sérieuses. Mahler poursuit tant qu’il peut son travail et dirige son dernier concert le 21 février 1911. Mais lorsque l’issue fatale ne fait plus aucun doute, il demande à retourner à Vienne pour y mourir. Arrivé extrêmement affaibli dans la capitale autrichienne où il est placé dans un sanatorium, il reçoit la visite de ses proches et de ses amis les plus chers. Là, son esprit se détache progressivement de la réalité de ce monde. Bientôt délirant de fièvre et inconscient, il dirige sur sa couverture une musique que lui seul entend et invoque Mozart. Il s’éteint finalement le 18 mai 1911.
Selon sa volonté, Mahler est enterré au côté de sa fille lors d’une cérémonie silencieuse, sans musique, assombrie par la pluie battante mais remplie de l’émotion des fidèles qui sont venus lui rendre un ultime adieu. Il quitte ainsi définitivement le monde des hommes, dont beaucoup ne l’ont sans doute jamais compris, pour faire désormais corps avec cette nature qu’il chérissait tant et dont il avait peint en musique les innombrables beautés. Il n’est pas mort, il est seulement “parti”
, écriraQuelques heures passées avec Mahler, cité dans Bauer-Lechner p. 305 plus tard Ernst Decsey. Il y a des hommes qui survivent à leur mort [...], tous ceux qui entrent dans la légende, et qui en reviennent pour errer parmi nous éternellement.
Le langage musical
Au regard de certains autres compositeurs, Mahler pourrait sembler peu prolifique : en effet, son catalogue ne comporte véritablement que neuf symphonies (une dixième inachevée) et quelques cycles de lieder. Cependant, étant donné la longueur de chacune des œuvres (ses symphonies durent rarement moins d’une heure), il s’agit d’un travail monumental, exceptionnel pour quelqu’un qui ne composait que sur ses congés d’été.
D’un point de vue formel, Mahler s’inscrit dans la lignée de Bruckner et explose le cadre romantique de la symphonie : la plupart de ses œuvres s’éloignent de la structure en quatre mouvements et plusieurs font appel à la voix, soliste ou chorale. Dans la mouvance post-romantique au tournant du XXe siècle, ses symphonies requièrent un effectif pléthorique à l’image de la Symphonie n° 8, surnommée « des mille ». Mais il ne s’agit jamais d’un effet gratuit ou d’une quelconque facilité de la part du compositeur. Véritable maître de l’orchestration, il utilise des instrumentations originales et des combinaisons de timbres inédites, avec des instruments en coulisse, les bois pavillon en l’air ou encore les cors debout. Il accorde un rôle important aux cuivres mais aussi aux harpes, très présentes, et use d’une profusion de percussions, des plus traditionnelles au moins usuelles (cloches, glockenspiel, grelots, xylophones, marteau...), ce qui lui vaudra régulièrement les critiques moqueuses de la presse. Les cordes sont très souvent au cœur des mouvements lents (l’Adagietto de la Symphonie n° 5 est exclusivement pour les cordes), jouant de grandes mélodies étirées, presque torturées dans leur utilisation des grands intervalles et des envolées dans l’extrême aigu.
Dans le domaine vocal, Mahler pose définitivement les bases du lied avec orchestre, lied qu’il insère même dans ses symphonies, soit chanté (Symphonie n°4), soit instrumental (le scherzo de la Symphonie n° 2 est issu du lied Des Antonius von Padua Fischpredigt, et celui de la Symphonie n° 3 est issu de Ablösung im Sommer), pour finir par les fusionner totalement dans Das Lied von der Erde. Son traitement de la voix avec orchestre est inédit, opérant une véritable symbiose entre le chant et les instruments et ouvrant la voie aux compositeurs comme Schönberg et Berg.
Certaines constantes s’observent dans le langage musical de Mahler, notamment une prédisposition pour le mélange des genres, comme dans le troisième mouvement de la Symphonie n° 1 qui alterne une chanson enfantine (Frère Jacques, en mineur !) avec des épisodes de musique populaire qui évoquent sa Bohème natale. Ce mélange, souvent incompris des contemporains du compositeur, installe une certaine ironie dans le discours musical, particulièrement frappante dans les scherzos faussement dansants comme celui de la Symphonie n° 4 où la dérision est accentuée par l’humour grinçant du violon solo désaccordé. Mahler insère également régulièrement des fanfares militaires et des marches, dont on dit qu’elles sont le fruit de ses souvenirs d’enfance à l’époque où il vivait à côté d’une caserne militaire. On en trouve dans certains lieder du Wunderhorn ou encore dans le 1er mouvement de la Symphonie n° 3.
Certaines thématiques sont aussi indissociables de la musique de Mahler :
- La nature. Elle est omniprésenteNatalie Bauer-Lechner raconte que
Mahler avait une oreille très fine pour tous les sons de la Nature et il ne pouvait s’empêcher de les entendre, qu’il le veuille ou non. [...] À ce sujet, il m’a dit : "Nous tirons probablement tous nos rythmes et thèmes originels de la Nature, qui nous les offre déjà, pleins de signification, dans chaque son animal. C’est ainsi que l’homme et en particulier l’artiste emprunte la forme et la substance au monde qui l’entoure, évidemment dans un sens tout à fait différent et élargi.”
(cité dans Bauer-Lechner p. 124) dans les compositions de Mahler, non seulement dans les thèmes et textes des lieder (Gesellenlieder), mais aussi dans les programmesLes titres initialement prévus pour sa Symphonie n° 3 étaient : 1. Ce que me content les rochers, 2. Ce que me content les fleurs des champs, 3. Ce que me content les animaux de la forêt, 4. Ce que me conte l’homme, 5. Ce que me content les anges, 6. Ce que me conte l’amour. de ses symphonies et dans le langage musical même (appel du coucou dans le premier mouvement de la Symphonie n° 1 qui figure l’éveil de la forêt). - La mort. Marqué par de nombreux deuils, Mahler invite très souvent le thème de la mort dans ses œuvres, soit sous forme de marches funèbres (Symphonie n° 2, Symphonie n° 5), soit dans le choix des textes de ses lieder. Le thème de l’enfant mort en particulier revient à plusieurs reprises (comme dans Das irdische Leben du Wunderhorn) pour faire même l’objet d’un cycle entier de lieder, les Kindertotenlieder.
- Le mystique. Mais la mort est souvent contrebalancée par le divin, la spiritualité, la dimension mystique des œuvres, jusque dans leur processus de composition
La conception et la création d’une œuvre sont mystiques d’un bout à l’autre ; on est poussé inconsciemment, comme si on était sous l’emprise d’une volonté extérieure, à créer quelque chose dont on reconnaît à peine l’origine par la suite. Je me sens souvent comme la poule aveugle qui a trouvé un diamant.
(Mahler cité dans Bauer-Lechner p. 33). Beaucoup de ses symphonies possèdent cette dimension spirituelle, en particulier celles avec voix : la Symphonie n° 2, la Symphonie n° 3, la Symphonie n° 8, même si la musique instrumentale seule suffit à transmettre cette spiritualité à l’image du dernier mouvement de la Symphonie n° 3.
Mahler ne faisait pas de l’art inutile. Sa musique voulait apporter une bonne nouvelle, voulait évangéliser par-delà toutes les religions et tous les cultes. Il aimait l’humanité ; il était continuellement pensif, penché sur la détresse humaine. De la race de Moïse et de Spinoza, par la souffrance comme par le génie.(William Ritter, cité dans La Grange vol. 2 p. 933).
Sources principales
- Natalie BAUER-LECHNER, Souvenirs de Gustav Mahler. Mahleriana, Éditions L’Harmattan, 1998
- Henry-Louis DE LA GRANGE, Gustav Mahler (3 volumes), Éditions Fayard, 1983
- Isabelle WERCK, Gustav Mahler, Bleu nuit éditeur, 2010
Auteure : Floriane Goubault