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Portrait
Erich Wolfgang Korngold
(1897-1957)
Une enfance musicale
Erich Wolfgang Korngold est né le 29 mai 1897 à Brünn, dans l’Empire austro-hongrois, aujourd’hui Brno en République tchèque. Il porte dans son deuxième prénom, Wolfgangen référence à Wolfgang Amadeus Mozart, les ambitions de ses parents Julius et Josefine Korngold. Son père est un célèbre musicologue et critique musical qui intègre en 1901 le Neue freie Presse, prestigieux quotidien viennois. Il initie lui même son fils Erich à la musique. Ce dernier révèle rapidement des dons exceptionnels. À cinq ans, il joue avec son père à quatre mains. En 1906, il compose sa première œuvre, il a alors huit ans. L’année suivante, son père, très influent dans la vie musicale viennoise, le présente à Gustav Mahler. Le maître viennois constatant la précocité de l’enfant, recommande qu’il poursuive sa formation auprès du célèbre compositeur Alexander von Zemlinsky.
Une ascension fulgurante
À l’âge de onze ans, sa première musique de ballet Der Schneemann orchestrée par Zemlinsky le révèle auprès du public viennois et de l’empereur François-Joseph Ier. Dès lors, ses années d’adolescence sont prolifiques. Il compose pour toutes les formations et dans des genres variés : piano solo, musique de chambre (de la sonate au sextuor), orchestre, chœur, LiederLes Lieder (se prononce « lideur ») sont des pièces brèves pour voix et piano, parfois pour voix et orchestre, composées sur des poèmes en langue allemande. Au singulier, on emploie le mot « Lied »., musiques de scène. Il n’a aucune difficulté à faire jouer ses œuvres par les plus grands interprètes comme le pianiste Artur Schnabel qui crée sa Sonate n° 2, opus 2 en mi majeur.
À partir de l’âge de seize ans il compose ses premiers opéras, Der Ring des Polykrates (L’Anneau de Polycrate) (1913-14) puis Violanta (1915-16). Ces œuvres sont produites à Munich en 1916. La carrière de Korngold prend de l’ampleur en se développant alors en Europe puis aux États-Unis. Die tote Stadt (La Ville morte) est créée le 4 décembre 1920 simultanément au Hamburg Stadttheater et au Cologne Stadtteather. L’année suivante l’œuvre est créée au Metropolitan Opera de New York. En 1927, Korngold compose l’opéra Das Wunder der Heliane (Le Miracle d’Héliane) dédié à sa femme Luzi.
Le cinéma et Hollywood
À partir des années 1930, Korngold effectue plusieurs voyages à Hollywood et découvre la musique de film. En 1934, il collabore avec Max Reinhardt pour son adaptation au cinéma du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Dans ce projet, Korngold arrange alors la musique de Mendelssohn. Il excelle dans ce genre en plein développement et signe un contrat d’exclusivité avec la Warner Bros.. En 1937 il reçoit un Oscar pour la musique du film Anthony Adverse de Mervyn LeRoy. Il conçoit la musique d’un film comme un « opéra sans chant »[1]. Pendant cette période, Korngold vit entre l’Europe et les États-Unis. En 1938, il est à Hollywood alors que l’Autriche est annexée par l’Allemagne nazie dans le cadre de l’Anschluss. Il fait venir sa famille en Californie et se consacre entièrement à la musique du film The Adventures of Robin Hood de Michael Curtiz et William Keighley. La musique de ce film lui offre son deuxième Oscar. En vingt ans, il signera la musique de vingt-deux films.
Le retour à la musique de concert
À partir de 1945, Korngold met un terme à sa carrière de compositeur de musique de film et revient à la musique destinée au concert. Il crée son Quatuor à cordes n° 3 op. 34 en 1939. Dans la foulée, il produit successivement son Concerto pour violon op. 35 créé par Jascha Heifetz, puis le Concerto pour violoncelle op. 27 et sa Sérénade Symphonique en si majeur Op. 39. Fort de son expérience de compositeur de musique de film, il emprunte des thèmes et des motifs à ses créations hollywoodiennes. Dans les Fünf Lieder, op. 38, par exemple, « Glückwunsch » utilise le matériau du thème des sœurs du film Devotion (La Vie passionnée des sœurs Brontë un film de Curtis Bernhardt), « Der Kranke » reprend un motif de Juarez (William Dieterle), et « Alt Spanisch » est le chant de Maria dans The Sea Hawk (L’Aigle des mers de Michael Curtiz).
En 1949, il revient en Europe pour la première fois depuis l’Anschluss pour obtenir l’année suivante un succès dans la création viennoise de la Sérénade Symphonique sous la direction de Wilhelm Furtwängler. Mais le succès ne sera pas au rendez-vous des autres créations comme l’opéra Die stumme Serenade. Le goût du public viennois a changé pendant son absence. Korngold retourne aux États-Unis dépité. À plusieurs reprises, notamment en 1954 avec sa Symphonie en fa♯ mineur Op. 40, il tente de reconquérir le public européen mais en vain.
Korngold meurt en 1957 suite à un accident vasculaire cérébral.
Le langage musical
La musique de Korngold est constituée d’éléments caractéristiques variés qui ont contribué à sa notoriété en tant que compositeur de musique d’orchestre, d’opéra et de musique de film. Son langage irrigue ces différents types de composition à parts égales comme il le justifie : je n’ai jamais fait de différence entre mes musiques de film et celles destinées à l’orchestre ou à l’opéra[2]
. Un sens de la théâtralité et de l’expressivité émane de son œuvre. Les thèmes d’un grand lyrisme sont soutenus par des harmonies riches et complexes que l’on peut qualifier de post-romantiques.
Les mélodies de Korngold sont caractérisées par le choix d’intervalles qui s’apparentent à de véritables signatures. La quartedo-fa par exemple, la quintedo-sol par exemple et la septièmedo-si par exemple désignent le plus souvent des émotions positives. C’est le cas par exemple pour le thème de Robin, dans The Adventures of Robin Hood. De même, les demi-tons descendants sont associés à la mort, comme dans Die tote Stadt (La Ville morte) (1920) ou dans le thème de l’oppression dans The Adventures of Robin Hood. Les rythmes très complexes sont très précisément notés. Ils font souvent l’effet de rubato écrits. L’ensemble sonne libre et détendu mais tout est méticuleusement écrit sur le papier[3]
.
L’orchestration sophistiquée contribue à la richesse du langage. Dans son opéra Die tote Stadt, il multiplie la diversité des timbres pour plus d’expressivité, combinant les boisflûtes, hautbois, clarinettes, bassons par trois, ou recourant à l’utilisation des harpes, d’un célesta, d’un piano, d’un harmonium et des cloches. C’est le cas également dans The Adventures of Robin Hood où il associe notamment les harpes, le piano, le célesta et la guitare acoustique au reste de l’orchestre.
Composer des musiques de film
Plus spécifiquement, à propos de ses musiques de film, il avait une manière bien à lui de composer. Je ne compose pas assis derrière mon bureau en écrivant de la musique de manière mécanique, si l’on peut dire, pour la durée d’un film mesuré par un assistant et accompagné de notes à propos de l’action... je compose dans la salle de projection[4]
.
De cette manière il parvenait à donner et à ajuster le bon rythme à une scène. Si le film m’inspire, je n’ai même pas à compter les secondes ou les pieds
. (If the pictures inspires me, I don’t even have to count the seconds or feet
.) Il avait une conscience aiguë du temps musical.
L’orchestrateur Hugo Friedhofer avec qui il travaillait témoigne du processus de composition : d’abord Korngold regardait le film une première fois, puis il rentrait chez lui et inventait des thèmes ; il revenait dans la salle de projection, s’asseyait au piano et improvisait sur les thèmes qu’il avait préparés, de retour à la maison avec un premier conducteur, il affinait le travail, il revenait le surlendemain pour vérifier l’exactitude des durées des scènes en relation avec la musique composée.
Korngold était également sensible à la tessiture des voix des acteurs. Il parvenait à les mettre en valeur en choisissant une tonalité adéquate à la musique qui les accompagnait. Cette sensibilité s’apparente à celle du compositeur d’opéra qui met véritablement en musique les dialogues dans les récitatifs.
Références
Sources principales
- Joshua PARKER, Austria and America: Cross-Cultural Encounters 1865-1933, LIT Verlag Münster, 2014
- Ben WINTERS, Erich Wolfgang Korngold’s The Adventures of Robin Hood. A film Score Guide, Lanham (Ma), Scarecrow Press. Inc., 2007
Références des citations
Auteur : Benoît Faucher