Franz Liszt (1811-1886)
L’enfant prodige
Né en 1811 à Doborjánaujourd’hui Raiding, en Autriche, petit village hongrois de l’Empire d’Autriche, Franz Liszt appartient, avec Berlioz, Mendelssohn, Chopin, Schumann, Wagner et Verdi, à la première génération des musiciens romantiques. Son père, au service de l’intendance des princes Esterházy, et également musicien dans l’orchestre du prince, souhaite inculquer une éducation musicale à son fils : Liszt débute l’apprentissage du piano à six ans, avec son père. L’enfant montre rapidement des dons hors du commun – il joue Bach, Mozart, Beethoven – et son père se démène pour trouver auprès de mécènes hongrois l’argent nécessaire pour emmener son fils étudier à Vienne. Dans la capitale, le jeune Liszt travaille le piano avec Carl Czerny et la composition avec Antonio Salieri. Vienne, encore marquée par le jeune Mozart, acclame bientôt le nouvel enfant prodige qui émerveille un public pourtant exigeant. Mais cela ne suffit pas à Adam Liszt : comme Wolfgang, son fils doit conquérir l’Europe ! À Paris, Liszt, en tant qu’étranger, ne peut intégrer le Conservatoire pourtant dirigé par l’Italien Cherubini. Il étudie alors avec Reicha et Paër. Le Tout-Paris se presse pour écouter le « petit Litz », qui émerveille par ses dons pianistiques prodigieux et novateurs. Liszt débute l’écriture d’études pour piano qui, remaniées, deviendront les Études d’exécution transcendantes, référence de la technique moderne du piano. Londres succombe également au charme de l’enfant virtuose. À la mort de son père, en 1827, Liszt est à seize ans un virtuose reconnu, financièrement à l’abri du besoin.
Les « années de pèlerinages » de l’intellectuel européen
Cantonné jusque-là par son père au rôle de « singe savant », Liszt montre désormais un phénoménal appétit intellectuel et artistique, encouragé par le Paris des années 1830. Liszt y côtoie Lamartine, Hugo, Heine, Chopin, Berlioz, ainsi que l’abbé Lamennais, prêtre et philosophe qui aura une influence majeure sur la réflexion pieuse de Liszt. Ce dernier fréquente les salons parisiens, dispense des cours aux jeunes filles de bonne famille, et assiste également aux mouvements politiques et artistiques révolutionnaires qui agitent alors Paris et forment progressivement l’intellectuel engagé que devient Liszt. Il garde néanmoins – et entretient – l’image du virtuose démoniaque et séducteur, encouragé par la découverte du violoniste virtuose Nicolò Paganini, dont il veut devenir l’égal pianistique. Plus encore, c’est la découverte de la Symphonie fantastique de Berlioz qui l’amène à conjuguer son amour de la musique à celui d’autres sources, personnelles et intellectuelles, à travers la « musique à programme ». C’est également à cette époque qu’il rencontre Marie d’Agoult – écrivain connue sous le nom de Daniel Stern –, avec laquelle il passe dix ans de sa vie et qui lui donne trois enfants. Les années 1830 sont également marquées par ses nombreux voyages en Europequ’il racontera musicalement dans ses Années de pèlerinage pour piano, au cours desquels Liszt propose ses fameux récitals composés d’œuvres de sa plume mais également de grands compositeurs anciens et contemporains. En missionnaire, il profite de ces voyages pour défendre, où qu’il soit, les acteurs de la musique, et notamment en Hongrie, sa patrie d’origine, qu’il s’emploiera à dynamiser musicalement et qu’il mettra à l’honneur dans sa musique, en puisant aux sources populaires.
Sédentarisation à Weimar : la musique d’orchestre
Nommé maître de chapelle par le grand-duc de Weimar en 1842, Liszt s’y installe en 1848 avec sa nouvelle compagne, Carolyne Sayn-Wittgenstein, qui l’encourage à réduire fortement ses voyages de pianiste virtuose au profit de la composition. Après une trentaine d’années consacrées presque exclusivement au piano, cette nouvelle période de sa vie est marquée par son engouement pour la musique orchestrale. En tant que chef d’orchestre de la cour, il défend vigoureusement, contre les conservatismes de tous ordres, la « musique de l’avenir », la sienne et celle de ses contemporains – Schumann, Berlioz et Wagner en tête. En tant que compositeur, s’il défend également la musique des autres musiciens via ses nombreuses transcriptions pour piano, il livre à Weimar ses fameux poèmes symphoniques (Les Préludes d’après Lamartine, Mazeppa, etc.), apogée de la musique à programme, ainsi que ses deux symphonies (Faust-Symphonie et Dante-Symphonie) et ses œuvres concertantes pour piano et orchestre (des concertos, Totentanz). De cette époque datent également ses chefs-d’œuvre pianistiques les plus marquants, au summum desquels se place sa Sonate en si mineur pour piano seul, qui marque l’aboutissement de ses recherches musicales technique transcendante, renouvellement de la forme par les éléments descriptifs, langage harmonique moderne et plus dissonant et de ses multiples influencesfolkloriques, wagnériennes, littéraires. Face à l’adversité générale, Liszt finit par démissionner de son poste de Kapellmeister et part pour Rome.
Rome et la musique liturgique
Liszt arrive donc à Rome en 1861. Il a cinquante ans. Le choix de la destination correspond aux aspirations religieuses du compositeur présentes depuis l’enfance et nourries de sa rencontre avec Lamennais. À Rome, Liszt souhaite réformer la musique sacrée moribonde. Il rejoint l’ordre franciscain en 1865 et reçoit les ordres mineurs. Un grand nombre d’œuvres sacrées – et notamment des oratorios – voient le jour : La Légende de Sainte Élisabeth, Christus, Messe de Gran, Messe hongroise pour le couronnement, Requiem, etc., témoignant de ses connaissances de la musique religieuse du Moyen Âgeinfluence du chant grégorien et de la Renaissanceécriture polyphonique associées à son amour du terroir hongrois et de son éternel regard vers la musique de l’avenir. Néanmoins, Liszt ne reçoit pas de l’Église les signaux attendus et, à partir de 1869, le compositeur partage son temps entre Rome, Weimar et Budapest, où il crée en 1875 une Académie de musique. Ses dernières œuvres se montrent toujours aussi exigeantes et tournées vers l’avenir : sa Bagatelle sans tonalité fait fi des dernières conventions d’écriture et ouvre la voie au XXe siècle ; Debussy, Bartók et Schönberg sauront s’en souvenir. Liszt meurt le 31 juillet 1886 à Bayreuth, peu de temps après une représentation de Tristan et Iseult de Wagner : défendre la musique nouvelle, se tourner vers l’avenir ; jusqu’au bout.
Auteur : Antoine Mignon