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Le fait qu'instrument collectif/gamelan et instruments
individuels soient mêlés (île de Java) ou non (Bali) est un paramètre
important dans la différenciation des styles régionaux, ainsi que,
distinguant Java de Sunda, le mode d'interactivité entre ces deux expressions
et la place donnée à chacune. Symétrie et asymétrie,
temps cyclique et linéaire, concentricité et suppression de la hiérarchie
sont de plus en plus combinés dans les musiques d'art apparues avec la désacralisation
des expressions esthétiques. Des compositions en plusieurs mouvements développent
la forme comme déroulement dans le temps. A la conception d'un temps tournant
sur lui même qui garantirait le statu-quo et la stabilité des structures
humainement créées ou propres à l'univers se substitue graduellement
celle d'un temps orienté vers sa fin et d'un progrès nécessaire
de l'humanité.
Sur l'île de Java, du fait du passage de l'ancienne religion ritualiste à
l'islam la musique a changé de fonction et de statut, elle a été
sécularisée, entrant dans le domaine de la pure esthétique.
De devoir rituel des citoyens, elle a accédé au rang d'art valant pour
lui-même, d'autant que, privés d'autres pouvoirs par des siècles
de colonisation, les princes de Java se sont affirmés dans le prestige esthétique.
La musique, de plus en plus savante, est passée dans les mains de spécialistes
et professionnels, de maîtres du chant, du Wayang, des instruments individuels.
Ces pratiques relevant d'une esthétique de la musique comme "langage"
plutôt que comme seule structure, les aspects mélodiques et linéaires
sont venus se placer au premier plan. Ils ont d'autant plus facilement pris le dessus
dans la théorisation de la musique de gamelan que ces notions étaient
aussi celles de la musique occidentale et des musicologues occidentaux influents
à Java bien avant et bien plus qu'à Bali.
La musique savante javanaise, dans l'esprit de la spiritualité mystique locale
kejawèn, cultive le syncrétisme qui est devenu l'idéologie
de cette région carrefour de cultures, avec un mélange de rigueur cyclique,
de relative autonomie mélodique et un goût prononcé pour l'hétérophonie. |
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A Sunda, les fortes traditions régionales de
chant et de musiques intimistes avec instruments
individuels non-percussifs conduisaient naturellement
à une esthétique de "mélodie accompagnée",
exprimant bien les affects et la sensualité sundanais et permettant l'éclosion
de vedettes, malgré le respect d'anciennes conventions des configurations
cycliques dans les gamelan. A la différence des chants intégrés
au gamelan dans la musique javanaise, les textes sont intelligibles à Sunda.
A Bali, la société est restée
très communautaire et fidèle à l'ancienne religion, dont les
innombrables rituels sont la raison principale d'une vie artistique extraordinairement
profuse (musique, danse, théâtre, offrandes, costumes, rites spectaculaires...).
Cette vitalité de la tradition, associée au fait que le peuple villageois
y prend une bien plus grande part qu'à Java, transparaît dans la musique,
une des plus énergiques du monde. Si une musique de concert y est née
avec le style Kebyar - l'unique exemple local de musique vraiment faite pour être
écoutée | 9|10|, c'est seulement pour un ou deux morceaux en début
de spectacle et cette musique reste totalement percussive, orientée vers la
virtuosité du hoquet
à des tempi impressionnants, dans les
parties de tambours et les parties mélodiques périphériques. |